Tour d’horizon d’une année électrique

Champ d’éoliennes à hélice lors d’une journée d’hiver à Cap-Chat, Québec, Canada.
Photo: Getty Images Champ d’éoliennes à hélice lors d’une journée d’hiver à Cap-Chat, Québec, Canada.

Une nouvelle vague électrique déferle sur le Québec.

Fin janvier, le gouvernement Legault annonçait une entente en vue d’un nouveau grand projet éolien pour Hydro-Québec. La troisième depuis l’été dernier. En décembre, il dévoilait une entente de principe au sujet de Churchill Falls, avec deux nouvelles centrales hydroélectriques à la clé. Dans la dernière année, Québec a mis sur la table de grands projets totalisant 7400 mégawatts (MW) de puissance électrique, c’est-à-dire 15 % de la production actuelle : assez pour chauffer un million de résidences en hiver. À terme, ces installations à 40 milliards de dollars joueront un rôle majeur dans l’arsenal d’Hydro-Québec.

Pour y voir plus clair, Le Devoir vous propose un tour d’horizon.

La zone Chamouchouane

En juillet 2024, Hydro-Québec annonçait un partenariat avec la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh, les Attikameks de Wemotaci et la MRC du Domaine-du-Roy. Objectif : développer le potentiel éolien de la zone Chamouchouane, au Saguenay–Lac-Saint-Jean.

Cette zone de 5000 km2 à l’ouest du lac Saint-Jean pourrait accueillir 3000 MW de capacité éolienne. En considérant des éoliennes modernes de 6 MW chacune, on parle de 500 turbines. À l’heure actuelle, seuls deux parcs éoliens dans le monde génèrent une telle puissance, en Chine.

« C’est une occasion unique de valoriser le potentiel éolien du territoire, tout en respectant nos traditions et notre environnement », déclarait Viviane Chilton, la cheffe du Conseil des Attikameks de Wemotaci.

Conformément à la « stratégie de développement éolien » lancée par Hydro-Québec en mai 2024, la création du parc s’inscrit dans un nouveau modèle. Les communautés sont actionnaires à 50 % ; la société d’État, à 50 %. Tout est encore à faire : le plan du parc, les consultations publiques, les analyses environnementales, la sélection des entrepreneurs, etc.

Ce nouvel élan de développement ne fait pas que des heureux. Parmi les écologistes, plusieurs réclament, avant tout nouveau projet, un « BAPE générique » sur l’ensemble de la filière éolienne.





La zone Wocawson

En octobre 2024, la société d’État annonçait un second mégaprojet éolien, celui de la zone Wocawson, dans le Bas-Saint-Laurent. On parle d’y produire 1000 MW dans le cadre d’un partenariat avec l’Alliance de l’énergie de l’Est, qui regroupe 16 MRC et la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk, basée à Cacouna.

La zone Wocawson (700 km2) est située à l’intérieur des terres, vis-à-vis de la municipalité de La Pocatière.

Un parc éolien d’une puissance installée de 1000 MW permet d’alimenter environ 175 000 résidences. Cela prend en compte un « facteur d’utilisation » de 35 % dans l’année, sachant que le vent ne souffle pas toujours. En ouvrant les vannes des centrales hydroélectriques, on peut compenser les moments creux.

Les deux technologies sont complémentaires. « C’est intéressant de ne pas mettre tous nos œufs dans le même panier », juge Josée Provençal, professeure au Collège militaire royal de Saint-Jean, spécialiste des énergies renouvelables et de la suffisance énergétique.

Le fleuve Churchill

En décembre 2024, François Legault annonçait une entente de principe avec Terre-Neuve-et-Labrador au sujet de la centrale de Churchill Falls, dont Hydro-Québec achète la majorité de la puissance depuis plus de 50 ans.

Le Québec se garantit non seulement un accès à long terme à cette production, mais aussi le développement de nouveaux projets hydroélectriques sur le fleuve Churchill, qui coule au Labrador. La nouvelle centrale CF2 générera 1100 MW de puissance (dont 90 % pour Hydro-Québec) à partir de 2035. Cette installation puisera son eau dans le réservoir existant. Elle produira autant d’énergie que celle exportée vers New York dès 2026.

La nouvelle centrale Gull Island, en aval sur le fleuve, aura une capacité totale de 2250 MW (dont 90 % pour Hydro-Québec). Elle se comparera aux plus puissantes du Québec (LG-3, LG-4 et Robert-Bourassa). Installée au fil de l’eau, elle nécessitera un nouveau barrage.





La zone Nutinamu-Chauvin

Finalement, en janvier 2025, le gouvernement a annoncé une entente entre Hydro-Québec et la Première Nation des Innus Essipit et la MRC du Fjord-du-Saguenay. Celle-ci concerne le développement éolien de la zone Nutinamu-Chauvin, au Saguenay–Lac-Saint-Jean.

La zone, située au nord-ouest de Tadoussac, pourrait accueillir 1000 MW d’éoliennes d’ici 2035.

Cela participe au « plus grand chantier économique et énergétique de notre histoire », expliquait M. Legault, celui de doubler la production d’électricité du Québec d’ici 2050. « C’est la Baie-James du XXIe siècle, un projet qui fera rayonner notre prospérité », déclarait-il.

Ce texte fait partie de notre section Perspectives.

« Il était temps qu’on se lance dans des projets éoliens de cette envergure. Hydro-Québec connaît très bien les gisements de vent et sait comment intégrer cette énergie à son réseau hydroélectrique », observe Bernard Saulnier, un chercheur retraité de l’Institut de recherche d’Hydro-Québec qui, en 2009, a publié avec Réal Ried L’éolien au cœur de l’incontournable révolution énergétique.

Des chantiers nécessaires ?

À ces projets majeurs annoncés dans la dernière année s’ajoutent des initiatives moins impressionnantes, mais également stratégiques. Par exemple, Hydro-Québec poursuit la réfection de ses centrales hydroélectriques pour dégager une plus forte puissance sans augmenter la géométrie des barrages. Elle développe aussi son réseau de transport électrique.

Mais les grands chantiers de production sont-ils nécessaires ? Le Québec, déjà qualifié d’« ogre énergétique », devrait-il abaisser sa consommation en premier lieu ? « Les grands projets éoliens, on va en avoir besoin, répond Mme Provençal. On sait qu’on doit faire la transition vers l’électrique, notamment parce qu’on utilise tellement d’énergies fossiles dans le transport. Cela dit, je reproche au gouvernement du Québec de s’appuyer uniquement sur une augmentation de la production. En amont, la sobriété est essentielle. »

Parallèlement aux annonces sur les grands projets électriques, la professeure aimerait voir le gouvernement promettre un nouveau programme de rénovation écoénergétique qui dégagerait 1000 MW à l’échelle du Québec, ou un investissement dans le transport collectif qui nous ferait économiser 100 millions de litres d’essence. « Il faut des politiques publiques pour rendre possible cette sobriété-là », soutient-elle.

M. Saulnier est également favorable « à 110 % » à l’accélération des efforts d’efficacité énergétique. Il estime que la « rente éolienne » que touchera le gouvernement grâce aux grands projets éoliens pourrait financer une telle transformation — dans le secteur du bâtiment, par exemple. Mais pour complètement décarboner, il faudra aussi plus de puissance. « Et ce n’est pas l’hydraulique qui pourra nous la procurer », dit-il.

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