Des absences scolaires préoccupantes… et mal connues

Qu’elles soient le fait de maladies, de vacances en famille ou d’activités sportives, les absences d’élèves préoccupent, car elles peuvent nuire à la réussite scolaire en plus d’alourdir le travail des enseignants. Premier texte d’une série de trois.
Les périodes d’absence se comptent par millions dans les écoles du Québec chaque année, mais il est impossible de prendre la pleine mesure du problème puisque le gouvernement ne compile pas de données suffisamment complètes et fiables pour comprendre l’ampleur et les sources du problème.
Après avoir fait une demande d’accès à l’information auprès du ministère de l’Éducation, Le Devoir a compté près de 10,8 millions de périodes d’absence d’élèves dans les écoles publiques de la province, entre le 6 septembre 2022 et le 15 janvier dernier. Le hic : le ministère n’a comptabilisé les absences que le lundi et le mercredi en 2022-2023, puis uniquement le mercredi depuis. Les chiffres obtenus ne représentent donc qu’une fraction de la réalité.
« Il y a clairement un problème là », lance le porte-parole du Regroupement des comités de parents autonomes du Québec, Sylvain Martel, qui s’étonne de voir que le ministère de l’Éducation ne documente pas de façon plus assidue ces absences, tout comme leurs causes.
Joint par Le Devoir, le cabinet du ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, souligne que la collecte des absences dans les écoles a été mise en place il y a seulement quelques années, pendant la pandémie. « À ce moment, on avait besoin de ces données une fois par semaine », dit l’attaché de presse Antoine de la Durantaye. Il assure cependant que le ministère « travaille en ce moment pour s’assurer que les absences soient compilées de la même façon dans tous les [centres de services scolaires] » afin d’avoir, à terme, un meilleur portrait des absences dans les écoles du Québec.
Le ministère indique pour sa part être préoccupé par « le nombre important d’élèves » qui se sont absentés dans les dernières années et assure être à pied d’œuvre pour agir sur cette problématique.
« Au cours des derniers mois, différentes avenues pour valoriser l’assiduité scolaire ont été examinées. Elles seront partagées à court terme », indique par courriel le responsable des relations de presse, Bryan Saint-Louis.
Pas de clarté sur les motifs d’absence
La recension des causes de l’absentéisme pose aussi problème.
Une analyse des données fournies par le ministère au Devoir montre que 96 % des absences d’élèves depuis l’automne 2022 ont été inscrites dans une vague catégorie regroupant les « autres raisons » que des cas de COVID-19, avec ou sans test positif, de même que la grippe ou le rhume.
Sylvain Martel rappelle cependant que le réflexe des parents, quand leur enfant est mal en point, « c’est de dire : il est malade, il ne peut pas venir à l’école », sans donner plus de détails. Des cas de grippe, de rhume et de COVID-19 pourraient ainsi ne pas être comptabilisés comme tels dans les données du ministère.
Ces autres motifs n’ont pas été détaillés dans les données du ministère. Ce dernier note toutefois par courriel que des élèves peuvent s’absenter de l’école parce qu’ils sont atteints d’autres maladies, en raison de rendez-vous médicaux ou lorsqu’un décès survient dans leur famille, entre autres.
Les vacances familiales en cause ?
Le Devoir a d’autre part constaté que nombre des lundis et des mercredis où il y a eu le plus d’absences dans les dernières années précédaient ou suivaient des congés scolaires. La Fédération des centres de services scolaires du Québec (FCSSQ) affirme d’ailleurs qu’à part les virus respiratoires (rhume, grippe, COVID, etc.), les vacances familiales tenues pendant des journées scolaires figurent parmi les causes d’absences les plus récurrentes, sans toutefois fournir de données pour appuyer ses propos.
« Il peut arriver que les vacances familiales soient décalées en raison des coûts reliés au voyage en haute saison, notamment », souligne par courriel la fédération. Le ministère confirme avoir, lui aussi, « des préoccupations à cet égard ».
En 2024, les mercredis où le plus grand nombre d’absences ont été comptabilisées sont ceux qui précèdent directement le congé du temps des Fêtes, le Vendredi saint et la semaine de relâche, et celui qui suit le lundi de Pâques.
Puisqu’il s’agit de périodes d’absences, et que le nombre de périodes par journée de classe varie d’une école à l’autre, il n’est pas possible, avec les données recueillies par le ministère, de connaître le nombre d’élèves qui se sont absentés ces journées-là.
Tout de même, la professeure titulaire au Département de psychoéducation et de psychologie de l’Université du Québec en Outaouais Kristel Tardif-Grenier constate qu’on « peut effectivement présumer qu’en milieu plus favorisé, les parents décident de prolonger leurs vacances et motivent l’absence de leurs jeunes ». Elle remarque aussi que dans les secteurs plus multiethniques, en particulier à Montréal, « beaucoup de jeunes manquent de l’école pour aller voir leur famille dans leur pays d’origine » pendant l’année scolaire.
La professeure rappelle toutefois que les motifs de ces absences varient grandement en fonction du contexte socio-économique des élèves.
« Si on pense aux jeunes en milieux très défavorisés, il y a des absences aussi, mais ce n’est pas le même profil qu’on observe. Ce qui m’a été rapporté, c’est que les jeunes vont souvent manquer la dernière période de la journée pour travailler parce qu’ils soutiennent financièrement leur famille », souligne l’experte.
De nombreux intervenants citent aussi les problèmes de santé mentale comme un motif d’absence qui soulève beaucoup d’inquiétudes dans le réseau. C’est le cas du président de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement, Nicolas Prévost, qui constate aussi que des élèves victimes d’intimidation « vont s’absenter parce qu’ils ont peur d’un groupe d’individus ».
Une diminution de la valorisation de l’éducation
La FCSSQ constate d’autre part que les tournois sportifs figurent souvent parmi les motifs d’absences d’élèves. Une situation qui exaspère plusieurs directions d’écoles.
« Quand un tournoi de hockey à l’extérieur commence le jeudi matin, on va partir le mercredi soir ou le mercredi après-midi pour éviter de conduire le soir, et là, ça donne deux ou trois journées [d’école] manquées », déplore la directrice générale du centre de services scolaire des Draveurs, en Outaouais, Manon Dufour. « C’est comme si l’obligation de fréquenter l’école 180 jours par année n’était pas si importante que ça. »
Pourtant, « la recherche est claire : quand on manque plus de huit jours d’école dans l’année, on a deux fois plus de risques d’échouer aux examens finaux. Et si c’est 18 jours, on met à risque la réussite scolaire complète », affirme Mme Dufour, dont l’inquiétude est partagée par Kristel Tardif-Grenier.
« Il faut s’inquiéter de ces absences-là, peu importe la raison, parce que ce dont ça témoigne, c’est d’une diminution de la valorisation de l’éducation », souligne la professeure. Elle note d’ailleurs que plus un élève s’absente, plus il accumule un retard qui le motivera à manquer plus de cours, au point de mener dans certains cas à « un désengagement face au milieu scolaire ». Et ça, « c’est le facteur numéro un pour prédire le décrochage scolaire », souligne-t-elle
L’experte s’inquiète d’ailleurs de constater que des parents donnent à leurs enfants les accès nécessaires pour qu’ils puissent motiver eux-mêmes leur absence en ligne. Dans d’autres cas, les parents qui constatent que leur enfant ne s’est pas présenté à un cours sans raison valable vont motiver cette absence, constate Mme Dufour, qui tente de sensibiliser les parents à l’importance de cesser cette pratique.
Avec Sarah Boumedda
Les écoles privées pas épargnées
Le phénomène des absences n’épargne pas les écoles privées. En entrevue, le président de la Fédération des établissements d’enseignement privés, David Bowles, confirme que les écoles qu’il représente notent un taux d’absentéisme des élèves plus élevé dans les jours qui précèdent ou qui suivent des jours fériés.
« Au fil des années, on s’est adaptés à ces situations-là dans la mesure où les enseignants organisent leurs séquences d’enseignement en conséquence », constate-t-il.
Les écoles privées sont d’ailleurs de plus en plus nombreuses à avoir pris l’initiative, au cours des dernières années, de regrouper cinq journées pédagogiques éparpillées dans le calendrier scolaire pour en faire une deuxième semaine de relâche, en novembre. Cette situation permet de lutter contre l’épuisement professionnel des enseignants, tout en donnant un moment dans l’année « où les familles peuvent partir en vacances à moindre coût que durant la relâche scolaire de mars ou dans le temps des Fêtes », dit M. Bowles.
Ce dernier fait d’autre part état d’une augmentation des absences « chroniques » d’élèves liées à des problèmes d’anxiété. Ceux-ci sont alors soutenus par des orthopédagogues et des experts du milieu de la santé qui accompagnent ces jeunes pour les aider à retourner sur les bancs d’école.
Zacharie Goudreault