À la Confrontation des 4 nations, l'ombre de Trump planera sur la glace

La première rencontre entre le Canada et les États-Unis, samedi au Centre Bell, a commencé par des huées de la foule au moment de l’interprétation de l’hymne national américain et par trois batailles avant que 10 secondes de jeu n’aient eu le temps de s’écouler.
Photo: Graham Hugues La Presse canadienne La première rencontre entre le Canada et les États-Unis, samedi au Centre Bell, a commencé par des huées de la foule au moment de l’interprétation de l’hymne national américain et par trois batailles avant que 10 secondes de jeu n’aient eu le temps de s’écouler.

Le Canada et les États-Unis se retrouveront jeudi soir pour la grande finale d’un tournoi international de hockey qui suscitait généralement peu d’intérêt jusqu’à ce que les joueurs sautent pour la première fois sur la glace, la semaine dernière, et que Donald Trump et ses politiques controversés ne s’en mêlent.

Le légendaire Sidney Crosby, l’électrisant Connor McDavid et toute l’équipe canadienne retrouveront leurs terribles rivaux américains sur la glace du TD Garden, à Boston, pour la finale de la Confrontation des 4 nations — un nouveau tournoi international express à seulement quatre équipes, avec la Suède et la Finlande, gracieuseté de la Ligue nationale de hockey (LNH).

On trouvera peu de gens qui ne savent pas que leur première rencontre à Montréal, la semaine dernière, a donné lieu à quelques spectaculaires pièces de jeu offensif du Canada, au déploiement d’une défensive robuste et efficace du camp américain, qui se sont conclues par une victoire de 3 à 1 de ces derniers. Mais, surtout, que tout cela a commencé par des huées de la foule au moment de l’interprétation de l’hymne national américain et par trois batailles avant que 10 secondes de jeu n’aient eu le temps de s’écouler.

Le Canada et les États-Unis ont « une grande rivalité » dans le monde du hockey, a déclaré cette semaine le directeur général de l’équipe américaine, Bill Guerin, selon ce qu’a rapporté mercredi l’Agence France-Presse à l’attention de ses lecteurs européens. C’est seulement que, cette fois-ci, les menaces du président américain, Donald Trump, d’imposer des tarifs douaniers et de faire du Canada le 51e État de son pays y ont ajouté « une petite touche politique » qui correspond à « l’époque dans laquelle nous visons » et qui « inspire » les joueurs sur la glace.

Quelle rivalité ?

Cette histoire d’ancienne et profonde rivalité entre les deux pays au hockey apparaît exagérée à Dany Dubé, qui analysera le match en direct sur les ondes radiophoniques de Cogeco aux côtés du descripteur Martin McGuire.

C’est peut-être vrai au hockey féminin, où chaque tournoi international se termine presque invariablement par une finale entre les deux pays, ainsi que, dans une bien moindre mesure, au hockey junior, dit l’analyste. Mais on ne peut pas dire que cela a été souvent le cas des joueurs professionnels masculins, mis à part quelques matchs mémorables — comme la finale des Jeux olympiques de Vancouver en 2010, remportée par le Canada en prolongation sur un but de Crosby —, note l’ancien entraîneur au sein de l’équipe nationale canadienne aux Jeux de Lillehammer et aux Championnats du monde de 1994 en Italie, notamment.

Mais cette fois-ci, il est vrai que les États-Unis sont arrivés avec une formation « pas seulement talentueuse, mais aussi beaucoup plus hargneuse, plus acharnée, plus déterminée ». « Une équipe conçue pour battre le Canada », dit M. Dubé.

Lorsqu’on parle de grande rivalité au hockey, Benoît Melançon ne pense pas non plus au Canada et aux États-Unis. Le professeur émérite de l’Université de Montréal, essayiste et auteur notamment des ouvrages Les yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle et Langue de puck. Abécédaire du hockey pense plutôt à ce formidable choc entre le Canada et la défunte Union soviétique qui est survenu la première fois en 1972 et qui allait se répéter par la suite jusqu’à la chute du mur de Berlin.

« Ça, c’était une véritable confrontation. C’était la guerre froide. On avait deux visions opposées du monde. D’un côté, les communistes ; de l’autre, les capitalistes. On avait aussi deux conceptions du jeu complètement différentes. Et tout cela était entouré de mystère, parce qu’on savait peu de choses de la vie en URSS. Cela n’a rien à voir avec la situation actuelle entre les joueurs américains et canadiens, qui jouent quotidiennement ensemble, dans les mêmes équipes de la même ligue, pour gagner la même Coupe Stanley. »

Retour sur la scène internationale

Le fait que les joueurs de la LNH n’aient pas participé à des matchs internationaux depuis la Coupe du monde de 2016 à Toronto et que le tournoi de cette semaine ait été présenté comme une forme de préparation en vue de leur retour aux Jeux olympiques de Milan-Cortina l’an prochain ne semblait pas suffisant pour susciter un grand intérêt populaire. Mais tout a changé quand les joueurs ont sauté sur la glace.

C’est que ces joueurs sont les meilleurs de leur sport, dit Dany Dubé. « Il y a un tas de très, très bons joueurs qui ont été laissés de côté », dit-il.

C’est aussi que, contrairement aux matchs des étoiles de la LNH, « les joueurs accordent une très grande importance à ces rendez-vous internationaux où ils ont la chance de représenter leur pays, au point où c’était l’une de leurs demandes lors de la négociation de leur dernière convention collective ».

La faute de Trump

Pour sa part, Benoît Melançon ne croit pas que ce drôle de tournoi à quatre équipes auquel la LNH n’a réservé que quelques jours à peine dans son calendrier ordinaire aurait attiré tant d’attention, n’eût été des frasques du président Trump et de la colère des Canadiens.

Comme l’hymne national, le drapeau et le patriotisme occupent une place symbolique plus importante et plus chargée aux États-Unis qu’au Canada, il est compréhensible que les huées aient particulièrement été mal reçues par les joueurs américains et que cela ait contribué à augmenter d’un cran la tension lors de leur match contre les Canadiens.

« Je ne dis pas que les frères Tkachuk se sont posé des questions géopolitiques avant de lâcher les gants, seulement que cet environnement a sans doute contribué à leur niveau très, très élevé d’émotion. Et que sans les actuelles tensions dans les relations canado-américaines, je ne crois pas que nous serions, vous et moi, en train de discuter de la Confrontation des 4 nations. »

Dany Dubé ne nie pas l’effet du contexte politique actuel — et note au passage que les deux frères américains y auraient sans doute repensé à deux fois avant de lancer les disgracieux combats de la semaine dernière si les règlements en vigueur n’avaient pas été ceux de la LNH, mais ceux du hockey international, qui prévoient l’expulsion des combattants du match plutôt que de seulement leur imposer cinq minutes de pénalité.

L’analyste insiste cependant sur l’importance que les joueurs de hockey professionnels accordent à ces matchs internationaux. « Il y a des moments dans une carrière que tu ne veux pas rater. Ces gars-là font des millions et ils ne sont pas là parce qu’ils y sont obligés. Ils voient cela comme un honneur, une responsabilité, une chance de participer à quelque chose de plus important que leur petite personne. »

« Pour nous, c’est l’occasion d’apprécier leur talent extraordinaire, leur passion et leur engagement. »

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