Le président de l’Ordre des infirmières se dit «préoccupé» par les compressions

Luc Mathieu, président de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, dans les  bureaux de l'organisation
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Luc Mathieu, président de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, dans les bureaux de l'organisation

Le président de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ), Luc Mathieu, se dit « préoccupé » par les compressions en santé et implore Santé Québec de ne pas couper de postes en soutien clinique, des ressources essentielles, selon lui, pour accompagner et guider les infirmières sur le terrain.

« Si on coupe ces postes-là, on retombe dans la même erreur qui a été faite en 2014 lors de la grande réforme [de l’ancien ministre de la Santé Gaétan Barrette]. On avait coupé 1000 postes de cadres et le réseau ne s’en est jamais vraiment remis », affirme Luc Mathieu.

Ces postes de conseillère en soins infirmiers ou de conseillère cadre — communément appelé soutien clinique — sont occupés par des infirmières d’expérience qui n’offrent pas de soins directs aux patients, mais qui vont conseiller et soutenir le personnel infirmier, notamment pour encadrer ceux et celles qui débutent dans la profession, explique M. Mathieu. Certains des postes sont syndiqués ; d’autres sont des postes de cadres.

Depuis le mois de décembre, ses membres lui rapportent que ces postes sont dans la « ligne de mire » de Santé Québec, qui doit mener des compressions dans le réseau. C’est pour lui une « grande préoccupation », qui risque d’avoir des effets directs sur le travail de ses membres et du public. « J’ai fait deux tournées du Québec en six ans et le message principal qui ressort des membres, c’est qu’ils ont besoin de soutien clinique. Je l’ai répété et je le répète d’autant plus ces temps-ci, compte tenu de l’exercice de coupures qui a lieu présentement. »

Les compressions sont généralement dénoncées par les syndicats, qui représentent les employés, et non pas par les ordres professionnels, dont la mission est de protéger le public. Mais dans ce cas-ci, M. Mathieu estime que c’est un problème sur lequel l’OIIQ doit intervenir. « Ce n’est pas juste un enjeu syndical, parce que si les intervenants n’ont pas — les “conditions optimales”, c’est peut-être exagéré — le minimum requis pour donner des soins et les services à la population, ça devient dangereux. »

À Santé Québec, on ne peut indiquer si des postes d’infirmières en soutien clinique ont déjà été coupés ou si de telles compressions sont prévues. « L’analyse des propositions des établissements est toujours en cours », a répondu le responsable des communications de l’agence, Jean Nicolas Aubé.

Faux départ pour Santé Québec

Le président de l’OIIQ tente d’influencer les décideurs en leur faisant comprendre que le soutien clinique est « un investissement » dans une perspective plus large « d’économie de la santé », puisqu’il favorise notamment la rétention du personnel. « J’ai appelé les gens de Santé Québec par rapport à ça, plus d’une personne, pour leur dire : si vous faites ça, ce n’est pas aidant », explique-t-il.

Il estime par ailleurs que Santé Québec, la toute nouvelle agence mise sur pied par le gouvernement pour coordonner les opérations du réseau de la santé, part sur les chapeaux de roue. « Ils débutaient à peine leur entrée en fonction en décembre qu’ils ont reçu une commande de couper 1,5 milliard de dollars. Ça, c’est avoir deux prises contre toi en partant. Alors que pour une organisation comme ça, la première chose [à faire], c’est d’établir ta crédibilité, ta légitimité dans le système professionnel. »

« Les attentes de tout le monde — et on en est — sont très grandes envers Santé Québec, notamment au niveau de l’accès. Je n’arrête pas de dire : il faut que vous ayez des succès rapides parce que la population est excédée. »

Prendre position sur les enjeux de société

Cette prise de position s’inscrit dans la volonté du président de l’OIIQ, qui a été réélu en décembre dernier pour un troisième et dernier mandat, de protéger le public en étant « partie prenante dans les enjeux de société ».

La mission de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, qui célèbre cette semaine son 105e anniversaire, a toujours été de protéger le public, rappelle Luc Mathieu, mais cette protection a été développée à l’origine sur une base plus individuelle : un professionnel pour un patient. « Au fil du temps, la population s’est attendue à ce que les ordres se positionnent dans les débats sociétaux qui concernent la mission des ordres — dans notre cas : la santé, la profession infirmière », ajoute-t-il.

C’est ainsi que l’OIIQ a publié ces dernières années un « énoncé de position sur les effets des changements climatiques sur la santé des populations et sur la pratique infirmière », pour sensibiliser ses membres à l’importance de développer des compétences en matière de santé physique et mentale par rapport aux changements climatiques.

À la suite du décès de Joyce Echaquan, une femme attikamek morte sous les insultes d’une infirmière à l’hôpital de Joliette en 2020, l’OIIQ avait également émis un énoncé de position reconnaissant le racisme systémique dans le réseau de la santé. Un groupe de travail est toujours actif dans les communautés autochtones « pour donner vie à l’énoncé de position », assure M. Mathieu.

Enfin, Luc Mathieu veut consacrer son dernier mandat à se « rapprocher du public ». Pour ce faire, il va multiplier les tournées dans les différentes régions du Québec pour rencontrer non plus seulement les gens du milieu de la santé, mais aussi les comités d’usagers et autres « gens de la société civile avec lesquels l’Ordre, par le passé, n’avait pas beaucoup de contact ».

À travers tout cela, il espère « déconstruire un peu l’image que certaines personnes ont », voulant que « les ordres protègent d’abord leurs membres », une image « qui est encore ancrée un petit peu » dans la population.

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