Tchaïkovski revisité, Chostakovitch exalté à l’OSM

L’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) accueille cette semaine le violoniste Sergey Khachatryan dans le concerto de Tchaïkovski, mais aussi 13 jeunes musiciens du Conservatoire et des Universités de Montréal et de McGill, qui viennent se fondre à l’orchestre dans une 11e Symphonie de Chostakovitch mémorable.
La salle debout rappelle le violoniste. Sergey Khachatryan consent à jouer une pièce en solo. Il se tient immobile dans le silence et réfléchit. Longuement. En ces quelques secondes, il peut tout faire basculer, tout anéantir du miracle qui vient de se produire.
Les musiques défilent dans notre tête. Pour nous, il n’y en a qu’une, ou presque, qui se peut : la Sarabande de la 2e Partita de Bach. Bref, à ce moment précis, Sergey Khachatryan a 90 % de chances de tout faire foirer. Mais non : il a tout juste, faisant émerger du silence la mélodie arménienne du Xe siècle Havoun Havoun, de Grigor Narekatsi.
Mélancolie douloureuse
Cette douce prière, susurrée comme sur un souffle, convient à la perfection pour relayer ce qui s’est passé dans le Concerto pour violon de Tchaïkovski. Mais, le Concerto pour violon de Tchaïkovski, c’est brillant et virtuose, me direz-vous ? Certes, mais il y a autre chose. Il y a une mélancolie douloureuse, un poids de ce qu’on ne peut pas toujours exprimer et qui varie selon les circonstances du moment. Tchaïkovski lui-même n’avait-il pas composé l’œuvre comme un exutoire à une profonde dépression ?
Sergey Khachatryan se réfugie dans ces pages plus intimistes. Il fait de la cadence le centre du premier volet. Il y abolit le temps et la barre de mesure, s’évade sur la corde de sol (aiguë) en des rêveries nostalgiques qui frôlent l’immatériel. Dans la Canzonetta (deuxième mouvement), il se recueille avant de pleurer (élargissement du vibrato à la fin). Khachatryan semble avoir le poids de toute l’Arménie sur ses épaules.
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Le Finale est pris comme une évasion, mais aussi un envol d’un autre temps, une révérence à certains grands du passé : Milstein, le plus grand interprète de ce concerto, né à Odessa ; Bronisław Huberman, le Juif polonais dont Hitler écoutait en cachette le Concerto de Tchaïkovski en 78 tours ; Heifetz, le Lithuanien. Entre ces salves de virtuosité, il y a toujours ces retours à ce poids immuable de la réalité, ce fardeau du temps.
Des concertos de Tchaïkovski, nous en avons entendu beaucoup. Une version qui nous remue ainsi, jamais. Est-ce l’air politique du temps ? Est-ce Khachatryan, seul ? En tout cas, c’est bien émouvant de voir un vrai et grand artiste avec un violon sur scène. Il ne faudra pas manquer son récital chez Pro Musica en mai prochain.

Impressionnante puissance
Mais ce n’était pas fini. Restait à venir la 11e Symphonie de Chostakovitch. Il est question de la révolution avortée de 1905. Chostakovitch dépeint l’hiver hostile, la révolte qui gronde, la répression et le massacre des ouvriers, la marche funèbre des révolutionnaires et le tocsin.
Peut-on oser le jeu de mots facile en disant qu’on en sort sonné ? Même si Louis Langrée en a donné une très remarquable version avec le Métropolitain il y a quelques semaines, nous sommes ailleurs ici. Ailleurs, dans le « grain » sonore des cordes de La place du palais, dans la beauté de certains timbres et, surtout, dans la puissance produite.
Rafael Payare sait qu’il ne faut pas chercher à concurrencer les grands Russes (Rojdestvenski ou Ivanov) en causticité. Il va choisir d’opérer, dans les 2e et 4e mouvements, sur le gradient de puissance et c’est vraiment très impressionnant. Ce rouleau compresseur est appuyé par la section de percussions avec un Andrei Malashenko parfaitement efficace et un Hugues Tremblay à la grosse caisse, ce qui permet de ne rien laisser au hasard dans l’épisode du massacre.
Nous avons aussi de très éloquentes sonorités, ici le célesta à la fin du 2e mouvement, là le tam-tam (l’OSM a parfois utilisé des tam-tam douteux) et, évidemment, les nouvelles cloches qui ajoutent une somptuosité de timbres aux derniers instants de la symphonie.
Les choses ne s’arrêtent pas là : Jean-Luc Côté au cor anglais dans le Finale nous joue quasiment le solo de sa vie, le premier quasiment, en ce qui nous concerne, qui ne nous fasse pas regretter Pierre-Vincent Plante. Il a été suivi par une prestation délirante du groupe des clarinettes lançant la coda. La concentration, la tenue orchestrale ont impressionné.
Nous ne sommes toujours pas sûrs d’aimer la nouvelle configuration acoustique de la Maison symphonique avec une canopée plus basse et des rideaux tirés. Cela élimine une forme de surbrillance du son, mais cela ne renforce pas les basses pour autant et matifie l’image sonore. Le résultat n’est pas désagréable, mais est-ce un « progrès » ? Par contre, là où l’OM avait un net avantage, c’est le petit discours liminaire du chef, qui nous avait mis vraiment dans le contexte et l’ambiance de la symphonie, alors que là, ex abrupto, bon nombre de personnes semblaient ne pas savoir de quoi il en retournait et trompaient leur ennui, dans le 1er mouvement, en toussant.
Ce grand moment de musique a été filmé. Il passait en direct sur Mezzo et se retrouvera bientôt sur Medici.tv.