A-t-on vraiment besoin d’un TGV entre Toronto et Québec?

Photo: Thomas Coex Archives Agence France-Presse Des TGV français à la gare de Lyon, à Paris

Dans un contexte économique tendu, et alors que le Canada risque de devoir faire face à des dépenses nouvelles, notamment en matière de défense, une question se pose : a-t-on vraiment besoin d’une ligne de train à grande vitesse (TGV) entre la métropole ontarienne et la capitale nationale ? Et si oui, comment la financer ?

La question se pose, à la suite de l’« annonce historique » du premier ministre Justin Trudeau, qui a décrit le futur TGV comme le projet d’infrastructure le plus important de l’histoire canadienne. « C’est un projet nécessaire pour notre économie et nos citoyens », a-t-il mis de l’avant. Et s’il n’a pas voulu s’avancer sur le coût total du projet, un chiffre revient depuis l’automne : 100 milliards de dollars.

Pour la communauté d’affaires, le TGV suscite un grand enthousiasme.

« Dans le contexte économique actuel marqué par l’incertitude, je trouve que ce projet, qui est attendu depuis longtemps, tombe à point. C’est un projet qui est structurant pour notre économie à long terme », avance en entrevue au Devoir, Véronique Proulx, p.-d.g. de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ).

Selon elle, les projets de construction et d’infrastructures vont permettre aux manufacturiers de soumissionner et d’aller chercher des contrats dans un contexte où un certain nombre d’entre eux pourraient prochainement perdre des parts de marché importantes aux États-Unis.

Au Canada, les retombées économiques pourraient être importantes, selon Ottawa, qui table sur des retombées annuelles équivalentes à 1,1 % du PIB. Selon les études préliminaires, les gains de productivité engendrés par la réduction des distances le long de l’axe Toronto-Québec pourraient représenter jusqu’à 35 milliards de dollars par année. De plus, ce sont quelque 51 000 emplois dans la construction qui pourraient être créés en 10 ans.

Des retombées économiques majeures

« Les retombées seront gigantesques. On n’a pas les moyens comme petite économie ouverte, avec des distances gigantesques, de se priver de cette infrastructure », résume Jean-Pierre Lessard, économiste chez Aviseo Conseil et bien au fait du dossier. Il croit que ce projet représenterait des occasions extraordinaires de développement pour le pays.

Du point de vue de l’environnement, le projet de TGV éviterait de construire de nouvelles autoroutes, en plus d’enlever des voitures sur les routes, selon M. Lessard, pour qui ce projet représente « une vraie bonne idée ».

Afin de dissiper les inquiétudes quant au financement d’un tel projet, le premier ministre Trudeau a tenu mercredi à se montrer rassurant, mettant de l’avant le fait que le Canada avait le plus faible déficit des pays du G7.

Dans son plan, le gouvernement mise sur un achalandage qui pourrait atteindre jusqu’à 1,21 milliard de déplacements au cours des 40 premières années de service. Cette forte demande devrait générer des revenus « considérables », qui pourraient dépasser les 100 milliards de dollars sur la même période.

Les retombées pourraient aussi concerner le secteur du logement, puisque le projet de TGV pourrait forcer l’aménagement de 63 000 unités résidentielles. De plus, en optant pour le transport ferroviaire, les voyageurs réaliseraient des économies d’utilisation de la voiture pouvant atteindre 1,9 milliard. L’avantage environnemental lié à la réduction des émissions de gaz à effet de serre pourrait, lui, se chiffrer à 7,2 milliards de dollars.

En entrevue au Devoir, Frédérik Boisvert, président et chef de la direction de la Chambre de commerce et d’industrie de Québec, considère que financer un tel projet est un « no brainer » (une évidence).

« C’est de la bonne dette. Des projets structurants comme ça, ça peut s’amortir sur une génération. C’est fondamental pour l’économie du Canada, c’est non négociable », se réjouit-il.

Il s’agit d’une opportunité exceptionnelle pour la région de Québec, qui permettrait de connecter l’écosystème d’affaires de la ville de Québec aux grands pôles économiques que sont Montréal et Toronto, en plus d’encourager la mobilité des travailleurs entre ces pôles économiques, selon M. Boisvert.

En a-t-on vraiment besoin ?

L’enthousiasme du milieu des affaires quant à la construction du TGV n’est pas partagé par Jacques Roy, professeur à HEC Montréal et spécialiste du transport. Il s’interroge sur le bien-fondé du projet.

« La question la plus fondamentale dans ce projet est de savoir si on en a réellement besoin. Est-ce que c’est la meilleure façon d’investir 100 milliards ? », s’interroge-t-il.

Le professeur, qui suit depuis 30 ans la saga de l’arrivée potentielle d’un TGV au pays, affirme ne pas avoir vu d’études « sérieuses » sur ses retombées économiques éventuelles.

« C’est clair qu’il va y avoir des retombées positives au niveau touristique, mais aussi des moins positives, notamment si un TGV fait en sorte que les gens peuvent aller prendre l’avion à Toronto plutôt qu’à Montréal, souligne le professeur. La première étape, la plus importante, serait d’avoir une justification, même sommaire, du projet. »

M. Roy rappelle aussi que les coûts de dépassement pour ce genre de projets approchent généralement les 40 %. « Il y a beaucoup de projets de transport en commun qui sont sur la table présentement, qui sont assez avancés. Donc, il faudrait vraiment comparer le TGV à tous ces projets », suggère-t-il, refusant toutefois de passer pour le rabat-joie de service.

De son côté, la Fédération canadienne des contribuables (FCC) a également dénoncé le projet de TGV annoncé par Justin Trudeau et les milliards de dollars qui devront être empruntés. « Les finances publiques sont dans le rouge, les contribuables sont surtaxés, et il est irresponsable de la part de Trudeau d’accroître davantage la dette du pays à la veille de son départ », a déclaré Franco Terrazzano, le directeur fédéral de la FCC.

Enfin, un autre problème va se poser rapidement, d’ici à ce que les premiers coups de pelle du chantier soient donnés : la question de la main-d’œuvre, alors que plus de 50 000 emplois seront à pourvoir dans le secteur de la construction et des infrastructures.

Pour Véronique Proulx, de la FCCQ, le gouvernement va devoir revoir sa copie concernant la baisse des seuils d’immigration annoncée à l’automne par Ottawa.

« Où va-t-on aller chercher la main-d’œuvre ? Avec les départs à la retraite qui s’en viennent, il y a une inadéquation, c’est un non-sens, un manque de cohérence. C’est clair qu’on a besoin d’immigration temporaire et permanente pour supporter ce genre de projets », affirme Mme Proulx. Elle réitère son appel du pied au gouvernement fédéral afin de mettre en place un moratoire, avec l’appui du gouvernement du Québec.

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