Plaidoyer pour un partage de la «rente éolienne» au Québec

Bernard Saulnier déplore l'absence de « rente éolienne » qui permettrait, d'une manière ou d'une autre, de redistribuer au peuple québécois les bénéfices générés par la puissance du vent.
Photo: Frank Gunn La Presse canadienne Bernard Saulnier déplore l'absence de « rente éolienne » qui permettrait, d'une manière ou d'une autre, de redistribuer au peuple québécois les bénéfices générés par la puissance du vent.

La filière éolienne pétille de dynamisme dans la province. Or, selon un chercheur retraité d’Hydro-Québec qui a consacré l’essentiel de sa carrière à cette technologie, les bénéfices financiers de l’énergie éolienne sont en train de glisser entre les mains des Québécois.

Le potentiel éolien du Québec est « considérable » et bien cartographié. Le gouvernement, assoiffé d’énergie, compte bien en profiter. Pour y arriver, il confie le développement de la filière éolienne aux promoteurs privés. Ceux-ci doivent s’allier à des communautés locales, mais touchent tout de même une grande partie des profits.

« Dans les derniers 25 ans, tout a été accordé au privé par appels d’offres. Qu’est-ce qu’on fait pour la suite ? » demande Bernard Saulnier, qui a travaillé à l’Institut de recherche d’Hydro-Québec de 1977 à 2006 avant d’écrire, avec Réal Reid, L’éolien au coeur de l’incontournable révolution énergétique, publié en 2009. L’entreprise publique pourrait devenir « maître d’oeuvre » des futurs projets éoliens, fait-il remarquer en entretien au Devoir.

M. Saulnier déplore l’absence de « rente éolienne » qui permettrait, d’une manière ou d’une autre, de redistribuer au peuple québécois les bénéfices générés par la puissance du vent. Une telle « rente » existe, selon lui, pour l’énergie hydraulique : il s’agit des tarifs abordables d’électricité et des contributions versées chaque année par Hydro-Québec à l’État.

« À l’époque, Jean Lesage et René Lévesque ont eu la sagesse d’affirmer que l’électricité, c’est un bien collectif essentiel. Ce n’est pas quelque chose qu’on doit privatiser, mais plutôt qu’on doit confier à une société intégrée verticalement, responsable de la production, du transport et de la distribution », soutient M. Saulnier, qui a l’impression que cette vision s’effiloche.

La semaine dernière, Hydro-Québec a annoncé les sept projets de production d’énergie sélectionnés dans le cadre d’appels d’offres lancés en 2021. La société d'État participe, en tant que partenaire investisseur, à un seul des six projets éoliens retenus, celui de la Madawaska. Des entreprises privées, souvent étrangères, comme EDF Renouvelables ou Invenergy, pilotent les initiatives en s’associant à des MRC ou à des communautés autochtones.

C’est une perte de revenus pour la société, et une perte d’expertise pour Hydro-Québec

Hydro-Québec s’investit dans certains projets éoliens, mais toujours avec le concours de partenaires privés. L’entreprise publique participe ainsi, avec Énergir et Boralex, au projet des Neiges, situé dans Charlevoix, qui est encore à l’étape de l’élaboration. Ce projet, comme d’autres parcs éoliens, risque d’ailleurs de nuire à certaines espèces menacées, rapportait Le Devoir en janvier.

Selon M. Saulnier, le gisement éolien « phénoménal » du Québec ne manquera pas de combler la majorité des besoins en énergie de la province. D’abord partisan de l’efficacité énergétique, il croit que la filière éolienne fera immanquablement l’objet d’un développement important. S’il faut dénicher 100 térawattheures d’énergie d’ici 2050, il estime que les trois quarts proviendront d’Éole.

« Solliciter le privé avec des appels d’offres, ça peut avoir du bon pour des projets ponctuels, dit-il. Mais en ce moment, on est dans un projet d’une envergure majeure : on parle d’une nouvelle production équivalant à 50 % des besoins actuels du Québec, dont le développement s’échelonne sur seulement 25 ans. »

« Perte d’expertise »

En janvier dernier, le ministre de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, a confirmé la volonté du gouvernement de laisser le développement de la filière éolienne au privé. Hydro-Québec, de son côté, ne désire pas devenir un exploitant à part entière d’installations éoliennes, puisque cela s’écarte de son « expertise ».

En 1996, M. Saulnier faisait partie des membres de la Table de consultation du débat public sur l’énergie, qui a déposé son rapport au gouvernement de Lucien Bouchard. Sa première recommandation, pour l’énergie éolienne, consistait à « reconnaître le vent comme bien public collectif » afin que la collectivité québécoise puisse « bénéficier pleinement de sa rente éolienne ».

L’histoire n’empruntera pas cette direction. En 1998, Hydro-Québec accordait des contrats de gré à gré pour la création des premiers parcs éoliens de la province, en Gaspésie. En 2003, sous le gouvernement de Jean Charest, la société d’État établissait le modèle qui perdure encore aujourd’hui, en lançant un appel d’offres pour 1000 mégawatts d’installations éoliennes.

Tous les experts en énergie ne sont pas de l’avis de M. Saulnier : certains croient qu’il vaut mieux laisser une part de marché au secteur privé. Celui-ci peut ainsi absorber une part des risques. Les syndiqués d’Hydro-Québec s’inquiètent pour leur part de la « dénationalisation de l’électricité » qui se joue à chaque contrat éolien accordé à un promoteur privé.

« C’est une perte de revenus pour la société, et une perte d’expertise pour Hydro-Québec. On est une référence mondiale en matière d’hydroélectricité, mais, pour l’énergie éolienne, on nous dit qu’on n’a pas l’expertise à l’interne, et on ne cherche pas à la développer non plus », déplore Dominic Champagne, du Syndicat canadien de la fonction publique, qui représente la majorité des syndiqués d’Hydro-Québec.


Une version précédente de ce texte, qui indiquait qu'Hydro-Québec ne participe à aucun des six projets éoliens retenus, a été corrigée.

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