Trump à l’assaut d’une référence mondiale de la recherche scientifique

Le gouvernement de Donald Trump a commencé ses attaques contre l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA), une référence mondiale en recherche scientifique qui collabore depuis des décennies avec le Canada, notamment pour la protection des milieux marins.
Avec ses 12 000 employés et son budget annuel de plus de 5 milliards de dollars, la NOAA ratisse large en matière de recherche scientifique sur la crise climatique, l’atmosphère, les milieux marins, les pêcheries, la biodiversité et l’Arctique, en plus de gérer le service de prévisions météorologiques américaines et le centre national des ouragans. Sans oublier les très nombreuses collaborations internationales avec des gouvernements et des scientifiques.
Donald Trump n’a pas encore clairement énoncé ses objectifs en ce qui concerne la NOAA, lui qui a chargé Elon Musk de sabrer le budget du gouvernement, mais plusieurs signaux laissent présager des reculs majeurs dans le domaine de la science et de la protection de l’environnement, mais aussi de la collaboration avec les autres pays.
Selon des informations publiées d’abord par CBS News, des employés ont été informés au cours des derniers jours d’un objectif de réduction de 50 % du personnel de l’agence, mais aussi de compressions budgétaires substantielles.
Le président a d’ailleurs placé un proche, Neil Jacobs, à la tête de la NOAA. Ce dernier avait déjà dirigé l’agence de façon intérimaire lors de la première présidence de Donald Trump. Il avait alors notamment tenté de convaincre des experts du service météorologique de modifier leurs prévisions sur la trajectoire de l’ouragan Dorian afin de s’aligner sur les informations mensongères publiées par Trump sur le réseau social Twitter (devenu X). Il y avait dit, à tort, que l’ouragan frapperait l’Alabama.
Dans la foulée de la nomination de Neil Jacobs, l’agence gouvernementale dirigée par l’homme d’affaires multimilliardaire Elon Musk s’est présentée aux bureaux principaux de la NOAA. Objectif : prendre le contrôle du système informatique de l’agence scientifique créée sous la présidence du républicain Richard Nixon, en 1970. Depuis, plusieurs pages du site de l’institution apparaissent comme « suspendues pour maintenance », a indiqué à France 24 le scientifique Andrew Rosenberg, un ancien employé de la NOAA.
Climat de « peur »
Les cas concrets de directives inquiétantes pour la recherche scientifique se multiplient déjà, et règne au sein de l’agence un sentiment général de « peur », a indiqué au Devoir une source bien au fait de la situation. « Je m’attends à ce qu’on réprime la recherche sur le climat », a affirmé un employé au quotidien britannique The Guardian. « Les gens sont à mi-chemin entre l’inquiétude et la terreur. » La NOAA n’a pas répondu à nos questions.
Une autre mesure prise rapidement par le gouvernement Trump cible directement la collaboration scientifique internationale. Selon les informations relayées de façon anonyme par des employés à différents médias, la direction a imposé une directive pour stopper les communications avec les partenaires de l’agence ailleurs dans le monde, le temps de mener une révision de ces collaborations, qui concernent notamment la lutte contre la pêche illégale en haute mer, la science climatique et le suivi des espèces migratrices. Représentant démocrate de l’État de New York à la Chambre des représentants depuis 2009, Paul Tonko a qualifié cette mesure de « bâillon ».
Le Canada entretient « une relation de collaboration de longue date » avec la NOAA, explique Pêches et Océans Canada (MPO) dans une déclaration écrite en réponse aux questions du Devoir. « En tant qu’organisation engagée à prendre des décisions fondées sur des données probantes, et à adopter des approches collaboratives pour garantir la sécurité et la conservation de nos océans, nous accordons une grande valeur à nos partenariats internationaux. La sauvegarde de nos eaux et de nos ressources océaniques pour les générations futures nécessite une approche qui dépasse souvent les frontières. »
Quels seraient les impacts potentiels de la fin de la collaboration avec la NOAA pour le Canada ? « Le ministère n’a plus rien à partager sur cette affaire », a simplement répondu MPO.
« En empêchant le personnel de la NOAA d’interagir avec ses homologues internationaux, les États-Unis manquent à leurs efforts pour réduire les prises accessoires, empêcher le travail forcé dans les chaînes d’approvisionnement en produits de la mer et lutter contre la pêche illégale », dénonce John Hocevar, directeur de la campagne Océans pour Greenpeace États-Unis, en réponse aux questions du Devoir.
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Trump et les baleines
Une mesure prise par le gouvernement Trump pourrait par ailleurs avoir des impacts sur une espèce en voie de disparition qui fait l’objet d’une collaboration scientifique entre le Canada et les États-Unis : la baleine noire de l’Atlantique Nord.
La NOAA pilote en effet le « Take Reduction Team » (TRT), une structure qui a pour mandat de trouver des solutions pour réduire les impacts des pêcheries commerciales sur les cétacés, et principalement sur ceux qui sont menacés. Dans le cas des baleines noires, les empêtrements sont un véritable fléau pour l’espèce, qui compte à peine 370 individus.
L’équipe du TRT en place pour l’Atlantique compte une soixantaine de personnes, tant des scientifiques que des pêcheurs et des écologistes. Or, des rencontres prévues dans les prochaines semaines ont été annulées par la voie d’un courriel envoyé cette semaine, sans plus de précisions. « Nous vous tiendrons au courant de l’évolution de la situation », indique seulement un extrait du courriel obtenu par Le Devoir.
Spécialiste du fonctionnement des écosystèmes et des mammifères marins, et notamment de la baleine noire, Lyne Morissette se dit très inquiète des orientations imposées par le gouvernement Trump à la NOAA. « La protection des espèces en péril passe par la collaboration entre les pays et entre les différents acteurs. C’est d’autant plus vrai avec les baleines, qui ne connaissent pas les frontières entre le Canada et les États-Unis. Si on cesse de collaborer, on retournera en arrière. »
Selon elle, « l’historique de recherche et de conservation » de l’agence américaine est irremplaçable et essentiel pour le Canada, sans compter les moyens financiers dont dispose la NOAA.
Directrice de campagne pour Oceana Canada, Kim Elmslie rappelle par ailleurs que la protection des mammifères marins est inscrite depuis 1972 dans le Marine Mammal Protection Act (MMPA), une législation qui oblige notamment la mise en place de mesures pour réduire les risques que représente l’industrie de la pêche pour les mammifères marins. Un pays qui ne respecte pas le MMPA peut se voir refuser d’exporter des produits de la pêche vers les États-Unis.
À la suite du décès de 12 baleines noires dans les eaux canadiennes en 2017, le Canada avait dû mettre en place dès 2018 des mesures saisonnières de ralentissement des navires et des fermetures de zones de pêche dans le golfe du Saint-Laurent en cas de présence de baleines noires. Ces mesures sans précédent avaient été prises pour respecter les dispositions du MMPA afin de préserver l’accès à un marché essentiel aux pêcheurs du Canada.
On ne sait toutefois pas ce qu’il adviendra du MMPA sous le gouvernement Trump. Selon la directrice des campagnes pour les océans du Center for Biological Diversity, Miyoko Sakashita, toute décision qui signifie des reculs en matière de protection des espèces marines menacées pourrait, à terme, leur être fatale.