Trump fera souffler un «vent glacial» sur les politiques environnementales du Canada

Donald Trump est un partisan de l’exploitation accrue des énergies fossiles, ce qui devrait influer sur ses décisions qui auront des impacts dans la lutte contre la crise climatique.
Photo: Getty Images Donald Trump est un partisan de l’exploitation accrue des énergies fossiles, ce qui devrait influer sur ses décisions qui auront des impacts dans la lutte contre la crise climatique.

Tout indique que le retour de Donald Trump à la présidence américaine représente une menace sérieuse pour l’environnement de son propre pays. Mais les répercussions négatives ne s’arrêteront pas aux frontières et elles risquent de pousser le Canada à mettre la hache dans ses propres règles environnementales et ses objectifs climatiques, estiment les experts consultés par Le Devoir. Un changement de cap qui pourrait être amplifié par l’élection potentielle de Pierre Poilievre.

« Ce sera comme un grand vent glacial », résume Hugo Séguin, fellow au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal, en évoquant l’effet de la deuxième présidence du milliardaire sur le front environnemental. « Il y a un momentum actuellement sur la transition dans le monde. Mais on va lui mettre sérieusement des bâtons dans les roues. Ce sera vrai aux États-Unis, mais aussi au Canada et sur la scène internationale. »

« Ça aura un impact direct sur le Canada, parce que la tendance lourde consiste à s’arrimer aux règles et aux politiques américaines, notamment pour des questions de compétitivité », ajoute M. Séguin. « La pression sera donc très forte pour nous pousser à abandonner des règlements environnementaux que le gouvernement libéral avait réussi à mettre en place. »

Parmi les avancées qui risquent d’être compromises au moment où le monde se dirige plus que jamais vers un véritable naufrage climatique, il cite en exemple la tarification du carbone, la réglementation pour promouvoir les ventes de véhicules électriques, la législation sur l’évaluation environnementale des grands projets et les mesures prises pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), notamment le méthane.

« Catastrophique »

Ces reculs sont pour ainsi dire assurés en cas de victoire du Parti conservateur du Canada (PCC) de Pierre Poilievre aux élections à venir au cours des prochains mois, souligne Hugo Séguin.

« On doit s’attendre à un scénario assez catastrophique. Il faut être prêt à ce qu’un gouvernement conservateur fasse passer à la trappe la plupart des règlements mis en place sous le gouvernement libéral, comme le projet de plafond sur les émissions dans le secteur pétrolier et gazier. » Le PCC s’y oppose, tout comme l’industrie pétrolière et gazière, qui y voit un moyen détourné de freiner la croissance prévue de la production des énergies qui alimentent les dérèglements du climat.

Face à un Donald Trump ouvertement climatonégationniste et partisan des énergies fossiles, le PCC aura toute la latitude nécessaire pour justifier des reculs, ajoute Charles Séguin, professeur au Département de sciences économiques de l’UQAM. « L’effet Trump devrait leur donner des arguments politiques pour réduire les cibles climatiques. S’ils sont élus, on pourra probablement voir une réduction à la baisse des cibles pour 2030 et pour 2050. Ils pourront dire que le Canada est un petit émetteur mondial, comparativement aux États-Unis, qui auront décidé d’en faire moins. Ils pourront donc réduire les cibles. »

« Avec Trump et Poilievre, nous aurons deux discours très sceptiques par rapport aux politiques et réglementations environnementales. C’est donc clair que la situation va nuire aux objectifs climatiques », souligne aussi Maya Jegen, professeure au Département de science politique de l’UQAM.

Selon elle, il ne fait aucun doute que les cibles de réduction des GES mises en place par le gouvernement Trudeau afin de respecter notre engagement dans l’Accord de Paris sont « en danger ». Ces objectifs, fixés par les pays sur une base volontaire, sont essentiels pour progresser dans la lutte contre le réchauffement. Selon les termes de l’accord climatique mondial, les cibles de réduction de chacun, et en particulier des pays riches, doivent être révisées et renforcées tous les cinq ans, de façon à se rapprocher de ce qui est nécessaire pour freiner la hausse des températures.

La majorité de la population canadienne soutient l’action climatique. L’arrivée de Trump ne change pas cette réalité.

Le Devoir a tenté de joindre le PCC par téléphone et par courriel à plusieurs reprises au cours de la dernière semaine, afin de savoir s’il compte revoir certaines politiques environnementales de façon à les harmoniser avec celles des États-Unis. Il n’a pas donné suite à nos demandes.

On ne connaît pas les détails d’un éventuel plan climatique des conservateurs (Pierre Poilievre a déjà dit qu’il ne comptait pas se retirer de l’Accord de Paris, contrairement à Trump), mais ils s’opposent à certaines mesures phares des libéraux, comme la tarification sur le carbone. Celle-ci est reconnue par plusieurs économistes, notamment au Fonds monétaire international, comme l’un des moyens les plus efficaces et les moins coûteux disponibles pour réduire les GES.

Transition

Spécialiste de la gouvernance climatique à la Fondation David Suzuki, Andréanne Brazeau met en garde contre la tentation de se rapprocher d’une présidence américaine hostile à l’action climatique.

« Nous ne sommes pas le 51e État des États-Unis. Au contraire de ce que l’on commence à voir de la part de certains acteurs, on doit à tout prix éviter de s’aligner sur les orientations climatiques américaines et plutôt suivre la tendance mondiale vers la décarbonation. La majorité de la population canadienne soutient l’action climatique. L’arrivée de Trump ne change pas cette réalité. »

« On s’inquiète de l’avancée des négociations internationales sur le plastique, le climat et la biodiversité », ajoute Mme Brazeau. « Le Canada doit maintenir le cap sur ses engagements et rehausser les investissements pour que cette décennie si cruciale fasse avancer la justice climatique et environnementale chez nous et partout dans le monde. Il faut aussi que l’on renforce nos collaborations avec le reste de la planète pour protéger le vivant, que ce soit avec ou sans les États-Unis. »

Stratège principal en énergie chez Greenpeace Canada, Keith Stewart insiste pour sa part sur la prise de conscience de plus en plus généralisée de l’urgence de se tourner vers le développement accéléré des énergies renouvelables. Cette filière est même devenue un outil de développement économique dans plusieurs États américains, y compris des États traditionnellement républicains, ajoute Maya Jegen. Cet engouement a notamment été stimulé par l’Inflation Reduction Act du gouvernement Biden, que Trump veut éliminer.

Dans ce contexte d’incertitudes et d’inquiétudes environnementales, on peut certes entrevoir des reculs majeurs dans les prochains mois et les prochaines années, mais il est aussi possible que le « vent glacial » de Donald Trump soulève une vague de contestation de la société civile de chaque côté de la frontière, avance Hugo Séguin. « On pourrait voir la mobilisation reprendre là où elle avait été stoppée par la pandémie. » Il faut dire que, si l’ambition climatique n’est pas rehaussée nettement dès cette année, il sera pour ainsi dire impossible de limiter le réchauffement à un seuil viable.

Steven Guilbeault refuse de « spéculer » sur l’effet Trump

Interpellé par Le Devoir, le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, a fait valoir qu’« il serait prématuré de spéculer sur les politiques environnementales que [le gouvernement] Trump pourrait adopter ».

« Ce qui demeure certain, c’est que les objectifs climatiques et environnementaux du Canada restent inchangés, et nos règlements offrent une certitude essentielle aux entreprises et industries, tout en favorisant une croissance propre, indépendamment des décisions prises ailleurs. Il est également important de souligner que la dynamique de l’action climatique mondiale dépasse les décisions d’un seul pays », a aussi expliqué le ministre dans une réponse écrite.

« Pour les États-Unis, la transition énergétique et la lutte contre les changements climatiques ne se limitent pas à des questions environnementales. Ce sont aussi des enjeux stratégiques, économiques ainsi que sécuritaires », a également soutenu M. Guilbeault, en évoquant notamment les investissements majeurs en faveur des « énergies propres » dans le cadre de l’Inflation Reduction Act.

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