Trump rêve d’exploiter plus de pétrole en Alaska, et l’industrie?

Dès son premier jour en poste, le président américain, Donald Trump, a signé un décret pour « libérer le potentiel extraordinaire des ressources de l’Alaska » — à savoir son pétrole. Dans son collimateur : le refuge faunique national de l’Arctique, où sommeillent de vastes réserves d’or noir. Qu’est-ce qui est en jeu, exactement ?
Qu’est-ce que le refuge faunique national de l’Arctique ?
Le refuge faunique national de l’Arctique (RFNA) est un territoire de 7,9 millions d’hectares, grand comme l’Écosse. Il borde l’océan Arctique, sur la côte nord de l’Alaska, et est directement adjacent au Yukon. Sa faune est riche. Les oiseaux migrateurs sont nombreux à s’y poser. L’ours polaire, une espèce protégée, y trouve une partie de son « habitat essentiel ».
Surtout, la grande plaine côtière du refuge sert de pouponnière à la harde de caribous de la rivière Porcupine, qui compte plus de 200 000 bêtes. Le peuple autochtone gwich’in, qui vit de part et d’autre de la frontière canado-américaine, chasse ce caribou pour s’alimenter. Il appelle cette plaine côtière Iizhik Gwats’an Gwandaii Goodlit — « l’endroit sacré où la vie commence ».
Selon l’Institut d’études géologiques des États-Unis, la plaine côtière du RFNA recèle environ 7,7 milliards de barils de pétrole récupérables, soit l’équivalent de la consommation annuelle de la confédération américaine en or noir. Brûler autant de pétrole génère plus de trois milliards de tonnes de CO2.
Trump avait ouvert le robinet, puis Biden l’avait refermé
À la création du refuge, en 1980, une partie du territoire (la « zone 1002 ») avait été mise de côté pour son pétrole, mais son exploitation restait conditionnelle à un feu vert du Congrès. Pendant des décennies, la plaine resta intacte, jusqu’à ce qu’en 2017, sous la première présidence Trump, un projet de loi ouvre le robinet.
En vertu de ce texte, le département fédéral de l’Intérieur se voyait confier la mission de tenir deux ventes aux enchères de baux pétroliers à l’intérieur du RFNA avant la fin de l’année 2024.
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La première vente, tenue juste avant le départ de M. Trump du Bureau ovale, en janvier 2021, avait suscité très peu d’intérêt, n’attirant aucune offre des grandes compagnies pétrolières. Seuls 9 des 22 baux offerts avaient trouvé preneur. Ils avaient ensuite été abandonnés par leur détenteur, ou bien annulés par le gouvernement fédéral, qui invoquait le fait que le processus contrevenait à l’une de ses propres lois environnementales.
La seconde vente aux enchères prévue par la loi, organisée à contrecœur par le gouvernement Biden, a été tenue tout récemment, le 6 janvier. Elle n’a suscité aucune offre.
« Le manque d’intérêt des compagnies pétrolières […] reflète ce qu’elles et nous savions depuis longtemps : certains endroits sont trop spéciaux et sacrés pour être exploités par des forages pétroliers et gaziers », expliquait Laura Daniel-Davis, la numéro 2 du département de l’Intérieur.
Chez les Gwich’in, on voyait d’un bon œil cette désaffection de l’industrie. « Nous sommes enthousiastes, heureux et satisfaits », déclarait plus tôt ce mois-ci Pauline Frost, cheffe de la Première Nation des Vuntut, au Yukon. « Le forage dans le refuge arctique est vraiment mauvais pour les affaires et pour l’environnement. Je pense que nous le voyons clairement. »
Que promet Trump ?
Voilà maintenant que, dans un décret signé le 20 janvier, le président Trump demande au secrétaire à l’Intérieur de réattribuer les baux annulés par le fédéral en 2021 et d’offrir de nouvelles concessions dans la RFNA.
Le ministre devra « délivrer tous les permis, autorisations de passage et servitudes nécessaires à la prospection, au développement et à la production de pétrole et de gaz » dans le refuge.
Chez les écologistes, on se prépare à résister. « Le programme du gouvernement Trump pour l’Alaska détruirait des habitats précieux et des zones de chasse et de pêche de subsistance tout en aggravant la crise climatique. Earthjustice et ses clients ne resteront pas les bras croisés pendant que Trump impose une fois de plus à notre État un programme néfaste axé sur l’industrie, à des fins politiques et au profit d’une poignée de riches », déclarait lundi l’avocate en chef d’Earthjustice en Alaska, Carole Holley.
Avant même le décret, au début du mois, l’État de l’Alaska a lancé une poursuite contre Washington, affirmant que la superficie visée par la dernière vente aux enchères — 162 000 hectares, le minimum prévu par la loi — était trop petite pour que le forage de pétrole y soit rentable. Si le tribunal se rallie à cet avis, le gouvernement Trump pourrait avoir l’occasion de recommencer ce deuxième cycle d’enchères.

Reste à voir si l’industrie s’intéressera à ces concessions pétrolières risquées financièrement. La région est très isolée et inhospitalière. La fonte du pergélisol y complique les activités industrielles. Pour sortir le pétrole du nord de l’Alaska, on doit le convoyer par oléoduc vers un port sur la côte méridionale de l’État. En outre, la présence d’espèces protégées dans le refuge, dont l’ours polaire, complique l’acquisition de permis.
La question de l’acceptabilité sociale se pose aussi. Notons toutefois que si les Gwich’in s’opposent au développement pétrolier dans le refuge, un autre peuple autochtone vivant dans la région — les Iñupiats — y est favorable. Nagruk Harcharek, le président de l’organisme Voice of the Arctic Iñupiat, disait récemment que l’échec de la dernière vente aux enchères était le produit « d’années de politiques incohérentes » du gouvernement Biden.
Quels sont les autres enjeux en Alaska ?
Le décret trumpien actionne d’autres manettes pour accroître l’exploitation pétrogazière en Alaska.
Le président veut accélérer le forage dans la réserve nationale de pétrole en Alaska, un territoire essentiellement sauvage de 9,3 millions d’hectares à l’ouest du RFNA. Par sa signature, M. Trump demande l’abolition d’un plan échafaudé par les gouvernements Obama et Biden qui protège la moitié de la réserve, très peu exploitée depuis sa création en 1923 et qualifiée de « zone de nature sauvage de facto » par l’association écologiste Sierra Club.
Il faut dire que la réserve nationale de pétrole en Alaska fait déjà l’objet d’un important projet de développement : le projet Willow, du pétrolier ConocoPhillips. En 2023, Joe Biden avait outré des écologistes en autorisant cette initiative. Maintenant, un autre champ de pétrole majeur dans la réserve, le Pikka, fait saliver l’industrie pétrolière, qui se réjouit du retour de M. Trump en poste.
Le décret demande également aux agences fédérales de « prioriser » le développement du projet Alaska LNG, qui vise l’exportation de gaz naturel liquéfié. L’initiative de 44 milliards de dollars américains comporte un gazoduc qui traverserait l’État du nord au sud ainsi qu’un terminal méthanier. Ce projet a été autorisé il y a presque cinq ans, mais est retardé par des embûches légales.
Finalement, par un autre de ses décrets, le nouveau président veut abattre les garde-fous que son prédécesseur avait mis en place pour limiter l’exploitation pétrogazière en mer. Cela pourrait avoir des conséquences au large des côtes alaskaines.