Québec dépose un projet de loi pour limiter l’impact des grèves et des lockouts

Le ministre québécois du Travail, Jean Boulet, admet avoir été inspiré par de récents conflits de travail, comme ceux qui ont touché les traversiers, la transformation alimentaire et le transport scolaire.
Photo: Jacques Boissinot Archives La Presse canadienne Le ministre québécois du Travail, Jean Boulet, admet avoir été inspiré par de récents conflits de travail, comme ceux qui ont touché les traversiers, la transformation alimentaire et le transport scolaire.

Le ministre du Travail, Jean Boulet, a déposé mercredi un projet de loi pour limiter l’impact des grèves et des lockouts sur la population. Une réforme qui ne toucherait pas à la santé, mais qui concernerait les grèves dans le secteur de l’éducation, dans le monde municipal et dans le secteur privé.

« On ne s’attaque pas aux droits des travailleurs, on veille à la protection de la population », a déclaré le ministre lors de la présentation du projet de loi 89 au Salon rouge.

Au Québec, les conflits de travail sont déjà encadrés par les dispositions du Code du travail sur les services essentiels, mais le gouvernement Legault souhaite aller plus loin. Le projet de loi 89 vise « à considérer davantage les besoins de la population » en cas de grève ou de lockout. De nouveaux critères pourraient dès lors être invoqués pour exiger une offre minimale de services lors d’un conflit.

Le Code de travail serait ainsi modifié afin que « la sécurité sociale, économique ou environnementale » des Québécois, notamment ceux « en situation de vulnérabilité », ne soit pas « affectée de manière disproportionnée » lors de conflits de travail.

Le ministre Boulet a donné l’exemple des « personnes endeuillées » qui ont été touchées par le conflit de travail au cimetière Notre-Dame-des-Neiges. « Il y a une question de sécurité pour ces personnes-là, qui ne peuvent pas vivre leur deuil », « qui voient les dépouilles [de leurs proches] s’accumuler dans un frigidaire », a-t-il noté.

Il a aussi mis en avant le sort des enfants à besoins particuliers, dont les classes pourraient par exemple être maintenues lors d’un conflit de travail en éducation.

Le ministre admet avoir été inspiré par des conflits de travail qui « ont eu un effet important sur les citoyennes et les citoyens » ces dernières années. Il a entre autres mentionné les conflits touchant les traversiers, la transformation alimentaire et le transport scolaire. « On vient créer un nouveau régime dans un secteur où il n’y a rien », a-t-il dit, en soulignant que les dispositions actuelles sur les services essentiels ne s’appliquaient qu’à certains services — la santé, les transports, l’électricité, la collecte des déchets et la lutte contre les incendies.

« Une vengeance contre la grève des profs ? »

Les nouvelles règles que compte imposer le projet de loi ne s’appliqueront pas aux secteurs de la santé et à la fonction publique, précise le texte législatif. Mais elles s’appliqueront dans le secteur de l’éducation et le réseau des centres de la petite enfance (CPE), qui vit des grèves en ce moment.

« C’est-tu préventif contre la grève des CPE qui s’en vient dans une couple de semaines ? » a lancé le député Alexandre Leduc, de Québec solidaire, lors de la période de questions de mercredi. « C’est-tu une vengeance contre la grève des profs, la grève héroïque de l’an dernier ? Il n’y en aurait plus, de profs, dans les écoles sans cette grève-là. »

Durant cet échange, M. Boulet s’est défendu d’imiter les nouveaux pouvoirs récemment utilisés par le fédéral pour mettre fin à la grève chez Postes Canada et au lockout dans les ports. L’article 107 du Code canadien du travail permet en effet à Ottawa de demander au Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) de suspendre un arrêt de travail en cas d’impasse dans les négociations.

Avec le projet de loi 89, le ministre du Travail se dote en outre d’un second pouvoir susceptible d’avoir un grand impact dans le secteur privé, en se donnant le droit d’imposer un arbitrage aux parties impliquées dans un conflit de travail s’il « considère qu’une menace réelle ou appréhendée est susceptible de causer un préjudice grave ou irréparable à la population ». En cas d’échec des négociations, l’arbitre pourrait alors décider des conditions de travail des salariés.

Ce pouvoir ne toucherait pas les secteurs public et parapublic québécois, mais serait applicable au monde municipal.

« C’est un projet de loi qui est juste et équilibré », s’est défendu le ministre Boulet en réaction aux vives critiques des syndicats.

« Une déclaration de guerre », selon la CSN

Mercredi, la Confédération des syndicats nationaux (CSN) a rappelé que les récentes interventions d’Ottawa dans des conflits de travail sont actuellement contestées devant les tribunaux.

« C’est ni plus ni moins une déclaration de guerre aux travailleuses et aux travailleurs que le gouvernement vient de faire », a réagi mercredi la présidente de la centrale syndicale, Caroline Senneville. « Alors que dans le contexte actuel d’incertitude politique et économique, le gouvernement Legault nous appelle à unir nos forces, il fait précisément le contraire en s’engageant sur un terrain très glissant avec ce projet de loi, favorisant par le fait même la division. »

« Le meilleur moyen d’en arriver à un contrat de travail satisfaisant, tant pour les travailleuses et travailleurs que pour la partie patronale, est de négocier ! » a fait valoir de son côté la Fédération autonome de l’enseignement (FAE). En 2023, les membres de la FAE avaient fait grève pendant 22 jours consécutifs.

Contrairement aux gouvernements Charest et Couillard, la Coalition avenir Québec n’a pas imposé de loi spéciale pour forcer le retour au travail des employés du secteur public depuis son arrivée au pouvoir en 2018. Un fait qui découle notamment d’un arrêt de la Cour suprême de 2015 ayant doté le droit de grève d’une protection constitutionnelle.

Ces dernières années, le ministre Boulet a plus d’une fois laissé entendre que les dispositions actuelles du Code du travail sur les services essentiels étaient trop restrictives.

En 2023, lors de la grève du Réseau de transport de la Capitale (RTC), le Tribunal administratif du travail avait rejeté une demande de maintien du service régulier d’autobus lors du Festival d’été de Québec. Il ne s’agissait pas d’un « service essentiel », avait tranché la justice. Cette décision avait alors été critiquée par M. Boulet et le premier ministre François Legault.

L’effet d’une telle grève sur le Festival d’été de Québec pourrait-il être considéré comme une question de « sécurité économique » une fois le projet de loi 89 adopté ? Le ministre Boulet a indiqué que oui : « La question se serait posée. »

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