Ottawa ordonne le retour au travail à Postes Canada, mais arrive-t-il à temps pour Noël?

Il pourrait être déjà trop tard pour la livraison des cadeaux à temps pour Noël malgré le retour au travail temporaire des postiers ordonné par Ottawa vendredi, préviennent des regroupements de commerçants.
« Pour Noël, c’est trop tard. Il y a tellement de retard accumulé, je ne vois pas comment ça peut reprendre aussi rapidement. Si quelqu’un commande la semaine prochaine quelque chose pour Noël, je ne gagerai pas ma chemise que ça va être possible de le recevoir à temps », lance sans ambages Jasmin Guénette, vice-président des affaires nationales à la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI).
Vendredi matin, le ministre fédéral du Travail, Steven MacKinnon, a ordonné la reprise du travail des employés postaux, en grève depuis un mois, jusqu’au 22 mai 2025 et selon les conditions de leur convention collective actuelle.
En vertu du Code canadien du travail, le ministre a le pouvoir de demander une telle chose au Conseil canadien des relations industrielles (CCRI), qui pourrait suspendre la grève « tôt la semaine prochaine » s’il conclut lui aussi à une impasse dans les négociations.
« Évidemment, on est à Noël. Je vous mentirais si je vous disais que ce n’était pas une considération pour moi », s’est justifié M. MacKinnon lors d’un point de presse, sans toutefois pouvoir s’engager à ce que les colis coincés en transit soient livrés avant le congé des Fêtes.
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L’arrêt de travail des quelque 55 000 syndiqués de Postes Canada a stoppé toutes les livraisons du courrier le 15 novembre dernier. Des citoyens se sont notamment retrouvés en difficulté pour récupérer leur passeport ou leurs documents gouvernementaux. Le conflit de travail faisait surtout mal aux petites entreprises et à leurs clients en pleine saison du magasinage des Fêtes.
Cadeaux à temps ?
Même si la grève pouvait se terminer dans les prochains jours, la livraison des nombreux colis et lettres entreposés depuis presque un mois prendra probablement beaucoup plus de temps, croit la FCEI. Et pour les nouveaux achats en ligne, des semaines pourraient être nécessaires pour les acheminer, estime Jasmin Guénette.
Le Conseil québécois du commerce de détail (CQCD) craint aussi pour la date butoir de Noël. « Il va y avoir un bouchon quand ça va reprendre. En fait, il y a déjà saturation partout. Même les autres transporteurs comme UPS ou Purolator sont saturés et ont pris du retard dans les livraisons tellement ils ont récupéré de clients de Postes Canada », alerte son directeur général, Damien Silès.
Combien de colis attendent d’être livrés ? En combien de temps le rattrapage pourra-t-il se faire ? Impossible d’avoir des réponses claires pour le moment. Postes Canada n’a pas répondu aux questions du Devoir à ce sujet. Son plan de reprise doit être publié sur son site Web dès qu’il sera prêt.
Impossible non plus d’obtenir une estimation auprès du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP). « La grève a duré quatre semaines, mais je ne pense pas que ça va prendre quatre semaines pour livrer les colis et le courrier en attente. […] Mais c’est difficile à évaluer. On n’est pas encore de retour au travail et on ne sait pas combien de personnes vont revenir non plus. Plusieurs [postiers] ont trouvé du travail ailleurs entre-temps. Ça va avoir un impact », prévient le président de la section montréalaise du STTP, Renaud Viel.
« Le ministre fait bien d’intervenir, mais il aurait dû le faire plus tôt pour mettre fin à la grève. Beaucoup d’entreprises ont manqué de belles occasions lors du Vendredi fou et du Cyberlundi. Le magasinage des Fêtes, c’est une période essentielle pour les PME », déplore M. Guénette. Selon la FCEI, le coût de la grève s’élève à 100 millions de dollars par jour pour les petites et moyennes entreprises. Au total, l’impact financier depuis le début de la grève a atteint 1,6 million.
Revue du modèle d’affaires
Ottawa est intervenu plus tôt cette année dans deux autres conflits de travail, en forçant le retour au travail des employés des chemins de fer et de ceux des ports de Montréal, de Québec et de la Colombie-Britannique. Le CCRI doit maintenant déterminer si Postes Canada et ses employés sont en mesure de signer une nouvelle convention collective dans un avenir rapproché, ce qui semble improbable dans l’état des choses.
D’ici le mois de mai, le gouvernement fédéral lance une commission d’enquête industrielle menée par l’avocat et médiateur William Kaplan. D’ici au printemps, ce nouveau commissaire aura une mission d’une très large portée, qui comprend même l’examen du modèle d’affaires de Postes Canada.
Le service postal public souhaite notamment livrer des colis les fins de semaine, afin d’augmenter ses revenus, mais n’arrivait pas à s’entendre avec le syndicat à ce sujet. La médiation fédérale était suspendue depuis deux semaines. La dernière offre déposée par le syndicat proposait une hausse salariale de 19 % sur quatre ans, alors qu’une augmentation de 11,5 % était offerte par Postes Canada.
« Le Syndicat condamne sévèrement cette atteinte à notre droit constitutionnel à la négociation collective et à la grève », dénonce le STTP. Postes Canada affirme pour sa part avoir « hâte » de voir revenir ses employés. « Nous prendrons toutes les mesures nécessaires pour que la reprise des activités se déroule le plus rapidement possible », assure la société de la Couronne dans une déclaration.
Jeudi, le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh, s’est filmé lors d’une visite à une ligne de piquetage d’employés des postes, à qui il a promis de « continuer le combat ». En Chambre, le Parti conservateur y a vu une autre façon de demander au NPD de cesser son soutien au gouvernement libéral. Le Bloc québécois critique la décision du gouvernement comme « une solution de facilité et de courte vue ».