Le projet d’enfouissement nucléaire à Chalk River mis sur pause par la Cour fédérale

Victoire pour la communauté anichinabée de Kebaowek, qui demandait d’être davantage consultée avant que le projet d’enfouissement de déchets nucléaires à Chalk River aille de l’avant. Pour éviter de violer les principes de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, le promoteur, Laboratoires nucléaires canadiens (LNC), devra retourner à la table à dessin, a statué la Cour fédérale.
Dans une décision attendue rendue mercredi en fin d’après-midi, la juge Julie L. Blackhawk accueille « en partie » la requête de la communauté de Kebaowek et ordonne à LNC et à la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN) de reprendre leurs exercices de consultation avec la communauté anichinabée de l’ouest du Québec. Ceux-ci devront, stipule-t-elle, prendre fin « au plus tard » le 30 septembre 2026.
Dans sa décision, la juge de deuxième instance donne raison aux représentants juridiques de Kebaowek, qui avaient avancé, lors des audiences l’an dernier, que le processus de consultation de LNC et de la CCSN — lequel avait mené cette dernière à donner son feu vert au projet au début 2024 — transgressait les principes de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
Ce document onusien, auquel le Canada a adhéré en 2010, puis en 2021 dans une loi, souligne que « les États consultent les peuples autochtones concernés et coopèrent avec eux […] en vue d’obtenir leur consentement, donné librement et en connaissance de cause, avant l’approbation de tout projet ayant des incidences sur leurs terres ou territoires et autres ressources ».
Un processus « inadéquat »
Or, tout au long de ses consultations avec Kebaowek, LNC n’a « [pas tenu] compte des nouvelles nuances » contenues dans la Déclaration, estime la Cour. « Le processus de consultation en l’espèce n’était pas adéquat », écrit la juge Blackhawk. La CCSN a, quant à elle, « commis une erreur » en affirmant qu’elle n’avait pas la compétence pour rendre une décision en tenant compte des principes de la Déclaration.
La magistrate somme donc LNC et la CCSN à reprendre leurs consultations « en adaptant leurs procédés afin d’y intégrer le droit, le savoir et les pratiques autochtones et afin qu’il y ait pour but de parvenir à un accord ».
Une nouvelle « fantastique », selon le directeur du développement économique de Kebaowek, Justin Roy. « On est sous le choc, on n’y croit pas. Dans le bon sens du terme », a-t-il dit jeudi au Devoir.
Le projet de LNC que conteste depuis plusieurs années la communauté de Kebaowek — au même titre qu’une centaine de municipalités du Québec — vise à enfouir plus d’un million de mètres cubes de résidus radioactifs de faible intensité à proximité de la ville ontarienne de Deep River. Le projet doit s’installer, selon les plans initiaux, à environ un kilomètre de la rivière des Outaouais, frontière naturelle entre le Québec et l’Ontario.
Kebaowek craint, comme plusieurs partis d’opposition à Ottawa et à Québec, une éventuelle contamination du cours d’eau qui alimente des millions de Québécois, de Gatineau à Montréal, en passant par plusieurs autres municipalités. En entrevue, jeudi, Justin Roy s’est réjoui que le promoteur soit forcé de reprendre ses consultations.
« Nous voulons être impliqués du début à la fin du processus », pas une fois les plans terminés, a-t-il signalé.
La partie défenderesse aura maintenant 30 jours pour faire appel de la décision de la Cour fédérale. Dans une déclaration transmise au Devoir jeudi, LNC a affirmé respecter « la décision rendue par la Cour et [prendre] le temps de la réviser et d’en prendre connaissance, afin de déterminer les prochaines étapes ».
« Entretemps, les déchets nucléaires de faible intensité des laboratoires de Chalk River demeurent entreposés dans une installation sûre et temporaire, où ils sont régulièrement surveillés », a ajouté le promoteur dans son message. « Nous croyons fermement en la science derrière notre proposition. »
Du mouvement à Québec
À Québec, la députée de Québec solidaire (QS) Manon Massé a de nouveau exhorté le gouvernement à se ranger du côté de Kebaowek et à désavouer le projet. « C’est un beau moment pour mettre la hache là-dedans », a-t-elle dit en entrevue.
« Il est impératif que l’acceptabilité sociale et les droits des Premières Nations soient respectés par les autorités dans tous les projets qui comportent des risques aussi élevés », a ajouté le député du Parti québécois (PQ) Pascal Paradis, dont la formation avait déposé deux motions l’an dernier pour demander la fin du projet.
Malgré les demandes de QS et du PQ, le gouvernement de François Legault s’est jusqu’à maintenant contenté d’exprimer ses « inquiétudes » à son homologue fédéral devant le manque de consultation des parties touchées. Dans une déclaration, jeudi, le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, a affirmé qu’il prendrait « le temps de bien analyser le jugement » avant de donner un quelconque autre commentaire.
« Nous allons laisser les instigateurs du projet et le gouvernement fédéral faire les suivis recommandés par la Cour. Nous continuons de suivre la situation de près », a-t-il soutenu.