Kebaowek, gardienne de la rivière et de la faune

«Ici, à Kebaowek, nous occupons 54 hectares de superficie. Alors, il faut imaginer ce monticule de déchets qui ferait deux tiers de notre communauté », illustre Justin Roy, conseiller de la bande de la communauté anichinabée Kebaowek.
Photo: François Carabin Le Devoir «Ici, à Kebaowek, nous occupons 54 hectares de superficie. Alors, il faut imaginer ce monticule de déchets qui ferait deux tiers de notre communauté », illustre Justin Roy, conseiller de la bande de la communauté anichinabée Kebaowek.

Dans la ville de Deep River, en Ontario, les aiguilles de l’horloge atomique tournent. Situés sur son territoire, tout près de là, plus d’un million de tonnes de déchets nucléaires dorment, en attendant d’être enfouis à un kilomètre de la rivière des Outaouais. Sept mois après le feu vert accordé au projet par le tribunal de sûreté nucléaire canadien, les riverains s’entredéchirent. Deuxième texte de trois.

Le mois dernier, Justin Roy, conseiller de bande de la communauté anichinabée de Kebaowek, s’est rendu par la rivière sur le site qui doit abriter le site d’enfouissement nucléaire de Chalk River. « Ça ne veut peut-être pas dire grand-chose, mais nous étions là, sur l’eau, et un magnifique pygargue à tête blanche est venu se poser sur un arbre, à côté de nous », relate-t-il.

« On peut appeler ça une coïncidence, on peut appeler ça un signe… Je ne sais pas, mais, pour moi, c’était un peu comme s’il disait “merci pour tout ce que vous faites”. »

Assis à une table de la marina de Kebaowek, Justin Roy, qui est aussi le directeur du développement économique de la communauté anichinabée de l’ouest du Québec, désigne du doigt l’immense lac Kipawa, qui scintille sous les rayons du soleil ce matin. Plus loin, passé le barrage, décrit-il, son eau se jette dans la rivière des Outaouais pour ensuite descendre vers l’est.

Pour les Anichinabés, la rivière, Kichi Sibi, en algonquin, est la « force vive » du territoire. C’est donc avec stupéfaction qu’ils ont appris, il y a maintenant neuf ans, qu’un site d’enfouissement de déchets nucléaires s’installerait bientôt à proximité, tout près des laboratoires nucléaires de Chalk River.

Avec les autres communautés anichinabées du Québec, Kebaowek a entrepris dans les dernières années de contester publiquement le projet porté par les Laboratoires nucléaires canadiens (LNC). Une seule communauté algonquine, celle de Pikwàkanagàn, en Ontario, a donné son aval à l’installation de gestion des déchets près de la surface (IGDPS), qui doit se situer à un kilomètre de la rivière des Outaouais.

« C’est un monticule de 37 hectares. Ici, à Kebaowek, nous occupons 54 hectares de superficie. Alors, il faut imaginer ce monticule de déchets qui ferait deux tiers de notre communauté », illustre Justin Roy.

Le tortueux chemin qui mène à Kebaowek est jalonné de tortues, de renards et de petits rongeurs. Sur un panneau routier rose et bleu, on peut lire à côté d’un dessin de canot les mots : « protégeons le Kichi Sibi » et « l’IGDPS n’est pas la solution ». Sur une autre pancarte, signée LNC, il est écrit : « l’IGDPS est la meilleure solution ».

« Une voix pour ceux qui n’en ont pas »

Située à près de 200 kilomètres au nord des laboratoires de Chalk River, Kebaowek n’en est pas moins préoccupée. D’abord, l’IGDPS doit voir le jour sur le territoire ancestral de la nation algonquine. Mais surtout, sa construction pourrait avoir des conséquences irréversibles sur la faune et la flore locales, plaide M. Roy.

Au cours des années, la communauté a inventorié dans le secteur plusieurs espèces de chauves-souris, des tortues et des ours noirs. Des loups de l’est, espèce menacée d’extinction en vertu de la Loi sur les espèces en péril, ont également été détectés non loin des laboratoires de Chalk River.

Plus tôt cette année, Kebaowek a entrepris des démarches en Cour fédérale pour contester la décision de la Commission canadienne de la sûreté nucléaire (CCSN) d’accorder aux LNC le droit de construire son site d’enfouissement nucléaire. Une occasion, selon Justin Roy, d’être des « gardiens » du territoire, « une voix pour ceux qui n’en ont pas ».

« Un ours ne peut pas se rendre à une audience et dire : “Attention, je vis ici” », illustre-t-il.

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La juge Julie L. Blackhawk, de la Cour fédérale, a affirmé vouloir « prendre son temps » avant de rendre sa décision sur l’IGDPS. Si elle donne raison à Kebaowek, elle pourrait forcer la CCSN à revoir sa décision. Celle-ci indiquait que le projet des LNC « est conçu de manière à protéger la santé humaine et l’environnement ».

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