Retomber dans ses travers

Si la colère est mauvaise conseillère, la précipitation à y répondre souffre généralement de la même tare. Il est évident qu’on ne regardera pas les foudres trumpiennes s’abattre sur nos têtes sans riposter. Mais les réponses à notre nécessaire diversification économique ne se trouveront pas dans le rétroviseur, encore moins dans les ornières rétrogrades que creuse le président états-unien.

C’est spécialement vrai sur le front de la diversification énergétique, alors que des voix s’élèvent pour que le Canada reconsidère une filière qu’il a fermée à plusieurs tours : celles des pipelines, des gazoducs et des usines de liquéfaction de gaz naturel. Sur le front environnemental, rien n’a changé d’un iota. Enfin, si : les États-Unis sont « ressortis » de l’Accord de Paris, qui, il n’y a pas de hasard, connaît un passage à vide. Lundi, seuls 10 pays avaient rendu leur feuille de route climatique à temps. Sur quelque 200 pays.

L’attentisme est un mal contagieux. Il serait facile d’y succomber alors que la guerre commerciale gronde. Le hic, c’est que l’ambitieuse transition énergétique dans laquelle s’est lancé le Québec vient nécessairement avec une sortie des énergies fossiles. La question est donc la suivante : existe-t-il un chemin vers la transition qui vaille la peine qu’on s’autorise des détours en faveur de la résurrection de projets comme Énergie Est et GNL Québec, délaissés après de douloureux examens économiques et environnementaux sans équivoque ?

Il y a des convaincus pour qui la réponse est un oui franc et clair. Outre le lobby gazier et pétrolier, qui prêche pour sa paroisse, Pierre Poilievre se dit déterminé à faire revivre cette filière encensée par le gouvernement Trump 2.0. D’autres ne demandent pas mieux que d’être convaincus, et ce, jusque dans les rangs des libéraux fédéraux, qui ont pourtant participé à l’enterrement de première classe du pipeline et du complexe gazier. Le premier ministre François Legault et son ministre de l’Environnement se tâtent aussi. Et tant pis si cela piétine les principes de la Beyond Oil & Gas Alliance (BOGA) que le Québec copréside.

Un sondage Angus Reid rendu public lundi laisse entendre que la position du public a elle-même évolué avec les menaces tarifaires états-uniennes. Les deux tiers (65 %) des Canadiens sondés se disent prêts à soutenir un renouvellement d’Énergie Est. Ils étaient 58 % à l’être en 2019. Au Québec, le mouvement de balancier est plus franc encore, puisqu’il est passé de 33 à 47 % dans le même intervalle.

La question est légitime. Elle est aussi politiquement chargée, économiquement complexe et socialement explosive. Elle doit par conséquent être vidée proprement, sans raccourci.

On ne peut s’empêcher d’abord de relever l’ironie de songer à faire renaître un projet comme GNL Québec pour rendre la monnaie de sa pièce à Donald Trump. En vérité, ce serait déjà lui faire une fleur, puisque la compagnie a ses racines au Delaware ! Ainsi, quand viendrait le temps de redistribuer les blocs d’énergie, cela voudrait dire la favoriser, elle, l’états-unienne, avant d’autres entreprises québécoises. C’est ça, se choisir d’abord ?

Le pari est d’autant plus difficile à justifier que, dans l’état actuel des choses, ce qui se profile a moins les allures d’une bouée de sauvetage que les contours fuyants d’un mirage. Aucun promoteur privé n’a levé la main pour « porter » le projet. Le montage financier, jadis incertain, est toujours incomplet, et il risque d’avoir singulièrement pris du galon, en raison de l’inflation. L’acceptabilité sociale ? Elle est plus forte d’un cran, mais elle n’est certainement pas gagnée.

Quant aux clients potentiels de jadis, les Allemands d’abord, et plus largement les Européens, ils travaillent ardemment à réduire leur dépendance. Leurs hypothétiques besoins en gaz canadien, comblés depuis en partie par le gaz états-unien, risquent fort de se tarir avant même que notre filière soit opérationnelle. Toute cette agitation culminerait alors qu’on s’attend à ce que la demande pétrolière mondiale plafonne, avant de diminuer dans les prochaines années.

Sans compter que bouder les énergies fossiles qui viennent des États-Unis pour doper celles qui viennent du Canada apparaît comme un non-sens quand on veut s’affranchir de notre dépendance à ces dernières. La vente à moyen ou long terme de gaz naturel d’origine fossile aurait pour conséquence de verrouiller les choix énergétiques de nos pays clients (advenant qu’on en trouve) et les nôtres, alors que c’est la transition qu’il faut préparer activement, là-bas comme ici.

Notre marge de manœuvre est limitée : injecter des fonds publics et un temps précieux qu’on n’a pas dans des projets incertains destinés à devenir caducs paraît irresponsable, même en temps de guerre commerciale. Profitons-en plutôt pour fortifier le réseau électrique est-ouest, misons sur la production d’énergie renouvelable, le stockage des batteries, l’efficacité énergétique et, oui, maximisons nos usages de ces fameux minéraux critiques, si cruciaux pour la sécurité énergétique et qui font tant l’envie de notre voisin expansionniste.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

À voir en vidéo