Le Québec est-il cohérent avec son engagement dans la Beyond Oil & Gas Alliance?

Le Québec copréside la Beyond Oil & Gas Alliance (BOGA), une coalition de gouvernements qui ont promis de travailler en faveur de « la sortie » des énergies fossiles, un passage obligé pour éviter le naufrage climatique. Mais la porte ouverte à une relance de GNL Québec contrevient à cet objectif, selon des experts consultés par Le Devoir. Le cabinet de Benoit Charette répond que les engagements pris ne concernent pas le « transport » du pétrole et du gaz.
Le Québec est devenu « membre » de la BOGA dès sa création, en novembre 2021, dans la foulée de la décision du gouvernement Legault de fermer définitivement la porte à l’exploration pétrolière et gazière dans la province. En 2023, il est devenu coprésident de ce regroupement, qui compte 25 membres, dont la France, le Danemark, la Suède, l’Italie, la Nouvelle-Zélande, la Colombie et les États américains de Washington et de la Californie.
Cette « alliance », formée quatre mois après le rejet de GNL Québec, s’est donné comme objectif de « faciliter l’élimination progressive de la production pétrolière et gazière », d’abord chez les membres, mais aussi à l’échelle de la diplomatie climatique « internationale », afin de s’aligner sur l’objectif de « carboneutralité » à l’horizon 2050.
La « Déclaration » que tous les membres doivent signer insiste plus largement sur la nécessité de favoriser la « transition » énergétique, en prenant acte du fait que « nos engagements climatiques sont minés par la production actuelle et prévue de combustibles fossiles ». La BOGA cite d’ailleurs l’ONU, qui prévient que cette production est « deux fois trop élevée » pour espérer limiter le réchauffement à 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle, soit l’objectif le plus ambitieux de l’Accord de Paris.
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Le document cite aussi les conclusions de l’Agence internationale de l’énergie, qui indiquait en 2021 qu’il faudrait interdire tout nouveau projet d’exploration et d’exploitation. « La poursuite des investissements dans l’augmentation de la production de pétrole et de gaz naturel encourage la construction d’infrastructures d’approvisionnement et de consommation, enfermant ainsi une trajectoire à forte teneur en carbone au-delà de 2050, contribuant ainsi à un changement climatique dangereux, tout en augmentant le risque d’actifs échoués », précise la déclaration signée par le gouvernement Legault.
Dans son rapport ayant mené au rejet de GNL Québec par le gouvernement Legault, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) soulignait justement que ce complexe gazier « pourrait constituer un frein à la transition énergétique sur les marchés visés par le projet ». L’achat à long terme de ce gaz naturel d’origine fossile « aurait pour conséquence de verrouiller les choix énergétiques des pays clients et, conséquemment, les émissions de GES associées à la combustion du gaz naturel qui y serait livré ». Il ralentirait donc la nécessaire « transition ».
Qui plus est, le BAPE soulignait que « le projet Énergie Saguenay contribuerait au maintien, voire à la croissance, du secteur pétrolier et gazier de l’Amérique du Nord et de l’Ouest canadien en particulier ». Dans le cas de GNL Québec, le gaz qui aurait été liquéfié au Saguenay aurait été exploité principalement par fracturation, une industrie interdite au Québec par le gouvernement Legault.
Le « transport » exclu
Dans ce contexte, la porte ouverte cette semaine par le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, à une éventuelle relance de GNL Québec est-elle cohérente avec les engagements pris par le Québec, en tant que membre et coprésident de la BOGA ? « Le BOGA est pour l’exploration et l’exploitation des énergies fossiles. Pas leur transport. Il s’agit de deux choses différentes. Le cabinet ne commentera donc pas le lien que vous tentez de faire avec votre question », a fait valoir le bureau du ministre Charette, en réponse au Devoir.
« Même si le transport n’est pas directement mentionné, les membres s’engagent à créer une vaste coalition pour réduire la production. C’est donc un enjeu de cohérence pour le gouvernement du Québec. On ne peut pas dire qu’on met fin à l’exploration, mais qu’on veut encourager la construction des infrastructures pour augmenter l’exportation du gaz naturel », réplique Annie Chaloux, professeure agrégée à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke.
« Le ministre Benoit Charette et le gouvernement ont pris un engagement structurant et applaudi avec la fin de l’exploration pétrolière et gazière, mais aussi avec l’engagement dans la BOGA. C’est inadmissible de voir cette prise de position du gouvernement du Québec, alors qu’il copréside la Beyond Oil & Gas Alliance », ajoute-t-elle.
Directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier à Polytechnique Montréal, Normand Mousseau estime lui aussi que l’idée d’ouvrir la porte à la relance du projet d’usine de liquéfaction de gaz naturel ne respecterait pas l’engagement du Québec. « La Déclaration de la BOGA dit qu’il faut cesser les investissements dans la production de pétrole et de gaz, mais il ne faut pas non plus la soutenir par la construction d’infrastructures qui vont favoriser la distribution et l’utilisation », fait-il valoir.
M. Mousseau rappelle par ailleurs qu’un tel complexe devrait être en activité pendant des décennies pour être rentable, ce qui va à l’encontre de la transition nécessaire pour limiter les dérèglements du climat planétaire.
« Recul »
« C’est complètement incohérent avec les objectifs de la BOGA », ajoute Éric Pineault, qui est membre de l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM. « C’est un recul par rapport à une position qui était en accord avec le consensus scientifique, qui dit que le gaz naturel n’est pas une énergie de transition. C’est aussi un recul dans la conception de la transition au Québec. Ça démontre le peu de profondeur des ambitions et de la compréhension des enjeux de la part du gouvernement du Québec. »
Les groupes écologistes abondent dans le même sens. « Le gouvernement ne peut absolument pas concilier son rôle de coprésident de BOGA avec l’idée d’évaluer des projets qui contredisent directement son engagement de sortie progressive des énergies fossiles », souligne Leïla Cantave, responsable pour le Québec du Réseau action climat Canada.
Analyste Climat-Énergie chez Nature Québec, Anne-Céline Guyon estime pour sa part que le Québec devrait prendre l’initiative à l’échelle canadienne afin de plaider en faveur de la sortie des énergies qui alimentent la crise climatique, de façon à « contrebalancer le discours albertain ». Elle rappelle que la BOGA s’est justement donné comme objectif d’élargir son bassin de membres engagés en faveur de la transition, alors que la production pétrolière et gazière est appelée à augmenter au Canada au cours des prochaines années.