La Russie a perdu ses cartouches pour faire chanter l’Europe

Depuis le début de la nouvelle année, le gazoduc reliant la Russie à l’Ukraine ne transporte plus de gaz vers des pays européens, en raison de l’expiration d’un contrat signé entre les deux parties en 2019.
Comme la plupart des pays de l’Europe n’achètent déjà plus de pétrole et de charbon de la Russie, le régime russe voit s’effriter encore davantage ses liens énergétiques avec le continent. Moscou perd ainsi son pouvoir d’y exercer des pressions politiques.
La fin du transit de gaz russe via l’Ukraine vient conclure des décennies de liens énergétiques étroits entre l’ex-Union soviétique, devenue la Russie, et l’Europe.
Ces rapports stratégiques ont émergé dans les années 1960, avec la mise en place graduelle de quatre réseaux de gazoducs : Brotherhood, passant par l’Ukraine, Yamal, à travers la Pologne, Turk Stream, sous la mer Noire, et Nord Stream, sous la mer Baltique, vers l’Allemagne.
Avec le temps, la Russie a réussi à répondre à plus de 40 % des besoins globaux de gaz de l’Europe : une énergie essentielle pour le chauffage, mais aussi pour les industries, qui a la qualité d’être moins polluante que le charbon.
Dans les années 2000, des événements importants font comprendre aux Européens les risques de cette dépendance accrue envers la Russie, dirigée depuis 2000 par Vladimir Poutine.
Des disputes à répétition
Un premier incident survient à l’hiver 2006, impliquant la Russie et l’Ukraine. Une mésentente sur les prix amène Moscou à réduire le transit de gaz passant par l’Ukraine, pénalisant les pays clients qui dépendent de ce précieux gaz pour chauffer les maisons.
Une deuxième dispute intervient à l’hiver 2009. Cette fois, elle est de plus longue durée, avec des conséquences plus graves : l’interruption de gaz pendant deux semaines entraîne directement la mort d’une dizaine de personnes, dans des températures atteignant les moins 20 degrés.
Les États-Unis (républicains comme démocrates) et plusieurs États européens, la Pologne au premier chef, déplorent vigoureusement ce danger grandissant face au gaz venant de la Russie, en raison du chantage géopolitique qui peut en résulter.
Or, l’Allemagne, principale puissance économique de l’Europe, fait la sourde oreille à ces critiques. Le pays est toujours attaché à son Ostpolitik, définie dans les années 1970. Cette « politique vers l’est » vise à amener une détente avec Moscou par le biais d’interdépendances économiques et commerciales si étroites qu’elles rendent impossible le déclenchement de conflits.
Il faut dire que l’industrie allemande se satisfait de ce gaz russe, disponible en abondance et qui concourt à sa puissance économique.
L’Allemagne accentue même sa dépendance envers l’énergie de la Russie. En 2011, le gazoduc Nord Stream 1, reliant directement la Russie à l’Allemagne, est mis en activité.
Le pipeline Nord Stream 2, achevé en 2021, qui vise à doubler la capacité de transit, n’a jamais été ouvert en raison de l’invasion russe en Ukraine.
Une nouvelle ère
La décision de l’Allemagne d’annuler ce projet, autrefois considéré comme hautement stratégique, a marqué le début d’une nouvelle ère dans les liens énergétiques entre Moscou et l’Europe.
Le continent vise, d’ici la fin de la présente décennie, à se sevrer complètement du gaz importé par les gazoducs russes. La diminution de sa dépendance gazière envers ce pays, en à peine deux ans, est déjà significative, de 41 % en 2021 à 8 % de ses importations par gazoducs en 2023.
Certes, le continent achète encore du gaz naturel liquéfié de la Russie de manière importante, mais il envisage un plan de réduction dès cette année.
Le grand gagnant de ce profond virage hors du giron énergétique de la Russie est les États-Unis. Grâce à la révolution du schiste des années 2000 et à l’abondance de pétrole et de gaz fossile qui en résulte, Washington lève en 2016 l’interdiction, mise en place au milieu des années 1970, d’exporter du gaz hors de son territoire.
Presque 10 ans plus tard, avec la décision européenne de diminuer ses achats d’énergie importée de la Russie, les États-Unis ont considérablement augmenté leur exportation de gaz vers l’Europe : elles ont plus que doublé entre 2021 et 2023, représentant la moitié des importations européennes.
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