Les menaces de Trump ressusciteront-elles GNL Québec et le pipeline Énergie Est?

En plus des enjeux climatiques, le projet GNL Québec a été critiqué en raison de l’augmentation du trafic commercial qu’il entraînerait dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent.
Photo: Kevin Clancy Newsy Asocciated Press En plus des enjeux climatiques, le projet GNL Québec a été critiqué en raison de l’augmentation du trafic commercial qu’il entraînerait dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent.

Les menaces de Donald Trump d’imposer des tarifs aux exportations canadiennes de pétrole et de gaz font ressurgir l’idée de transporter ces ressources fossiles vers l’est du Canada, en passant par le Québec, pour desservir de nouveaux marchés. Le chef conservateur Pierre Poilievre veut d’ailleurs relancer GNL Québec et il déplore l’abandon du projet de pipeline Énergie Est. Les entreprises à l’origine de ces projets sont avares de commentaires, mais des experts doutent de la possibilité de ressusciter ces projets controversés.

« Nous n’avons pas besoin de leur pétrole ni de leur gaz », a laissé tomber jeudi le président Trump, dans un discours diffusé au Forum économique mondial de Davos, après avoir répété que le Canada devrait devenir le 51e État américain pour échapper à l’imposition de tarifs aux frontières.

Comme la majorité du pétrole brut et du gaz naturel exportés du Canada est historiquement destinée au marché des États-Unis, cette menace suscite de vives craintes dans l’industrie des énergies fossiles, qui mise par ailleurs sur une hausse de la production dans les prochaines années. Pour réduire cette dépendance, l’Association canadienne des producteurs pétroliers indique par courriel que les entreprises auraient besoin de pipelines, de gazoducs et d’usines de liquéfaction de gaz naturel afin de pouvoir se tourner vers d’autres acheteurs outre-mer.

Le défunt mégaprojet de pipeline Énergie Est et le terminal gazier GNL Québec n’ont donc pas tardé à ressurgir dans le débat public. La première ministre albertaine, Danielle Smith, a d’ailleurs demandé cette semaine au gouvernement fédéral d’« approuver immédiatement le pipeline Énergie Est ». Une requête formulée également par le premier ministre de la Nouvelle-Écosse, Tim Houston. « C’est quelque chose qu’il peut faire et je les encourage à le faire », a-t-il dit en point de presse, en évoquant un appui de « plusieurs premiers ministres » sur cette question.

Selon M. Houston, la construction de ce pipeline offrirait des « opportunités incroyables » de développement de nouveaux marchés, notamment vers l’Europe. Ce pipeline aurait transporté quotidiennement 1,1 million de barils de pétrole des sables bitumineux sur une distance de plus de 4600 kilomètres. Il aurait traversé le territoire de six provinces, de l’Alberta au Nouveau-Brunswick.

Au Québec, le pipeline aurait eu une longueur de 625 kilomètres. Il aurait traversé le territoire de plusieurs municipalités, quelques centaines de cours d’eau, dont le fleuve Saint-Laurent, des terres agricoles et des milieux naturels protégés. Il avait d’ailleurs suscité une très vive controverse en sol québécois. Mais surtout, Énergie Est n’a jamais mené à bien le processus d’évaluation environnementale fédéral ni celui du Québec. Il a été abandonné en 2017 par l’entreprise TransCanada, devenue depuis TC Energy.

« Politiques cinglées »

Même s’il s’agissait d’une décision de l’entreprise, le Parti conservateur du Canada (PCC) répète que la responsabilité de la mise au rancart de ce pipeline revient aux libéraux de Justin Trudeau. Dans une déclaration écrite en réponse aux questions du Devoir sur une éventuelle relance d’Énergie Est, la cheffe adjointe du parti, Melissa Lantsman, affirme que les « politiques cinglées et suffocantes ont tué » le pipeline Énergie Est.

Selon elle, les libéraux ont tout simplement « essayé de fermer notre industrie pétrolière et gazière », notamment avec la révision de l’évaluation environnementale des projets. Depuis l’arrivée au pouvoir de Justin Trudeau, le gouvernement a toutefois autorisé les projets gaziers LNG Canada et Cedar LNG, mais aussi l’exploitation du pétrole sous-marin de Bay du Nord, en plus de racheter et de financer l’expansion du pipeline Trans Mountain (325 millions de barils par année), un projet de 34 milliards de dollars.

En réponse au Devoir, le PCC n’a pas voulu dire s’il travaillerait en faveur de la relance du pipeline Énergie Est, en cas de victoire aux prochaines élections fédérales. Mais le chef Pierre Poilievre a récemment déploré l’abandon du projet, qui aurait selon lui « aidé à définancer Poutine », en fournissant du pétrole à l’Europe. Il a dénoncé au passage « la gauche radicale qui ne veut rien savoir du développement économique. Moi, je vais permettre la construction d’usines de gaz naturel, de gazoducs et d’oléoducs ».

Lors d’une mêlée de presse cette semaine à Lévis, M. Poilievre a également insisté sur l’urgence, selon lui, de « bâtir l’infrastructure pour pouvoir vendre notre pétrole ailleurs ». Les deux seuls projets de pipelines ayant fait l’objet de travaux très avancés de planification et d’ingénierie et qui répondraient à cet objectif sont Énergie Est et Northern Gateway, ce dernier ayant été rejeté par le fédéral en 2016, après un jugement défavorable de la Cour d’appel fédérale concernant la consultation des Premières Nations.

GNL Québec

Si la renaissance d’un éventuel projet de pipeline traversant le Québec reste à préciser, Pierre Poilievre a répété cette semaine qu’il souhaiterait donner le « feu vert » à GNL Québec. « Je vais essayer de convaincre le gouvernement du Québec » d’adhérer à l’idée de relancer ce projet de gazoduc, d’usine de liquéfaction et de terminal maritime d’exportation qui aurait été construit au Saguenay.

Le controversé projet d’exportation de gaz naturel de l’Ouest canadien (exploité principalement par fracturation) a été rejeté par le gouvernement Legault dans la foulée d’un rapport très critique du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement. L’évaluation environnementale fédérale a également mené au rejet du projet par le gouvernement Trudeau.

Moi, je vais permettre la construction d’usines de gaz naturel, de gazoducs et d’oléoducs.

Est-ce que les promoteurs, qui réclament plus de 1 milliard de dollars au fédéral en guise d’indemnisation pour leurs « pertes » financières, voudraient relancer le projet ? « Symbio Infrastructure n’a pas de commentaire sur le sujet », a indiqué par courriel l’entité qui chapeautait GNL Québec et le gazoduc qui devait alimenter l’usine. Symbio Infrastructure est toujours inscrit au registre des entreprises du Québec.

Professeur au Département de sciences économiques de l’UQAM, Charles Séguin estime que la construction de nouvelles infrastructures coûteuses dépendrait surtout de la volonté d’entreprises d’investir pour les construire, ce qui est loin d’être acquis. « Même si le gouvernement approuvait rapidement ces projets, il pourrait y avoir des contestations », ajoute-t-il, en rappelant le cas de Northern Gateway.

Titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau doute fortement de la possibilité de construire un nouveau pipeline. « Pour des projets sur plusieurs décennies, il faut qu’une stabilité soit garantie à plusieurs niveaux : politique, économique et sociale. Je ne crois pas qu’un projet de pipeline puisse bénéficier d’une telle stabilité, dans aucun de ces trois niveaux. »

Il ajoute qu’un tel projet ferait face à des « remous importants » en matière d’acceptabilité sociale. « Dans ces circonstances, je vois très mal comment un tel projet pourrait revivre au-delà de quelques discours politiques. »

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