Tous pour un, nul pour tous

Une « déclaration de guerre économique ». Les propos les plus durs, mais les plus justes, à l’endroit de l’imposition fallacieuse de tarifs douaniers généralisés contre le Canada par le président américain, Donald Trump, sont venus de la bouche du premier ministre de la Colombie-Britannique, David Eby, moins diplomate mais non moins vindicatif que ses homologues pour autant. Car un conflit commercial aux répercussions dévastatrices vient d’être lancé sans fondement aucun, outre l’ambition protectionniste insatiable du dirigeant narcissique.

Au nom d’une prétendue « urgence nationale », le président Trump imposera dès mardi des tarifs douaniers de 25 % à toutes les importations canadiennes sur son territoire, hormis aux produits énergétiques dont il ne peut se passer (et qui sont responsables de ce faux déficit commercial qu’il déplore), lesquels seront frappés d’un moindre tarif de 10 %.

Le prétexte d’entrées irrégulières d’immigrants mais surtout de fentanyl à la frontière canado-américaine est si spécieux que la Chine, terre d’origine de cette drogue de synthèse meurtrière, écope de tarifs douaniers moins sévères de 10 %. L’incohérence n’est même pas déguisée.

Le président Trump ne voulait d’ailleurs rien entendre. Ni le plan du gouvernement canadien pour resserrer sa frontière (en déployant drones, hélicoptères, équipes canines et 1,3 milliard de dollars). Ni la réalité du terrain (où moins de 1 % des entrées dénoncées se font par la frontière nord des États-Unis). Pas de « concession » possible. Pas de conversation avec le premier ministre Justin Trudeau, dont les appels ont été refusés jusqu’à celui prévu lundi matin. Ce qui en dit long sur la position de faiblesse du Canada, mais aussi sur l’intransigeance de Donald Trump, qui a poussé l’impitoyabilité jusqu’à surenchérir en menaçant le Canada de rehausser ces tarifs si l’on avait l’audace de se défendre.

Donald Trump ne se contente plus d’être l’intimidateur en chef de ses alliés. Il veut en être le bourreau.

Le gouvernement Trudeau n’avait d’autre choix que de répliquer aussitôt en annonçant des représailles de 155 milliards en deux temps. La crise du fentanyl, la protection de la frontière, le sous-financement de la défense méritent tous que le gouvernement s’y attarde, mais pas parce qu’il y est contraint, pris en otage par son soi-disant plus grand partenaire. Les prochains mois s’annoncent pénibles.

Aveuglé par son idéologie économique flirtant avec l’autarcie, Donald Trump n’en a que pour ses propres gains. Sans égard aux règles établies de l’Organisation mondiale du commerce (où le Canada contestera justement son offensive tarifaire) ou au calendrier de renégociation de son propre traité de libre-échange signé avec le Mexique et le Canada.

La stratégie était la même lors du premier mandat. « Le gouvernement Trump était prêt à froisser les plumes diplomatiques pour faire avancer son programme commercial », confiait l’ancien représentant américain au commerce Robert Lighthizer dans son livre No Trade Is Free.

Les tarifs douaniers sont cependant désormais érigés en arme universelle et non plus strictement commerciale ; contre la drogue (qui transite d’ailleurs d’abord par la poste et non par la frontière canadienne), contre le refus de la Colombie de reprendre des migrants ou celui du Danemark d’accepter l’annexion forcée du Groenland aux États-Unis. Donald Trump s’est sacré chef omnipotent.

Les tarifs douaniers ont beau être critiqués par la Chambre de commerce des États-Unis et le Syndicat des métallos, dont certains membres avaient appuyé le président, ce dernier n’a que faire des contrecoups économiques qui guettent les Américains. « La plus stupide guerre commerciale de l’histoire », titrait le Wall Street Journal, n’a pas non plus pu être évitée par ceux qui, à l’interne, essayaient de tempérer l’acharnement de Trump. La raison n’a plus sa place dans l’entourage ou dans l’esprit du président.

La solidarité exprimée au Québec comme au Canada dans les premières heures de cette attaque commerciale devra maintenant résister et se consolider si jamais la réplique doit s’intensifier jusqu’à jouer la carte de l’énergie et de l’électricité.

Les pays de l’Union européenne, d’Amérique du Sud et d’ailleurs auraient en outre intérêt à voir venir la menace Trump à leur tour et à faire front commun avec le Canada et le Mexique pour lui tenir tête une fois pour toutes. Le président ne cédera (peut-être) qu’au poids financier du nombre.

Justin Trudeau a beau répéter qu’il dispose des leviers nécessaires pour aider les entreprises et les citoyens à affronter la récession appréhendée, il ne devra pas s’abstenir de rappeler le Parlement pour les protéger eux plutôt que la course à la chefferie de son propre parti. L’aide gouvernementale devra être ciblée et responsable. En débattre aux Communes — comme à l’Assemblée nationale — ne serait pas superflu.

Le Québec et le Canada n’en sont qu’au 15e jour de la seconde présidence de Donald Trump. Il faudra s’armer de patience et de sang-froid pour affronter les 1448 suivants.

Une version précédente de ce texte a été modifiée: l’organisation du Syndicat des métallos n’a pas appuyé le président américain Donald Trump. Ce sont plutôt certains de ses membres qui ont soutenu l’élu républicain.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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