Trump dit-il vrai sur la situation à la frontière entre le Canada et les États-Unis?

Le président Donald Trump arrive à l’aéroport international de Palm Beach à West Palm Beach, en Floride, le vendredi 31 janvier 2025
Photo: Jim Watson Agence France-Presse Le président Donald Trump arrive à l’aéroport international de Palm Beach à West Palm Beach, en Floride, le vendredi 31 janvier 2025

La frontière canado-américaine est-elle aussi poreuse que le sous-entend Donald Trump ? Alors que les États-Unis sont sur le point d’imposer des tarifs douaniers aux importations canadiennes sous prétexte que la frontière doit être plus surveillée et sécurisée par le Canada, les données montrent que le portrait que peint le président américain est loin de la réalité du terrain.

« Nous envisageons d’imposer des tarifs de 25 % au Mexique et au Canada, car ils permettent à un grand nombre de personnes […] et au fentanyl d’entrer », a déclaré Donald Trump le soir de son intronisation, le 20 janvier. Une promesse qu’il entend mener à terme : ces nouveaux tarifs seront appliqués dès le samedi 1er février, a confirmé la Maison-Blanche en point de presse vendredi.

Les données de la United States Customs and Border Protection (CBP) analysées par Le Devoir dressent par contre un tout autre portrait. L’afflux de migrants et le trafic de fentanyl à la frontière avec le Canada, tant critiqués par Donald Trump, s’avèrent minimes comparativement à ce qui est observé à la frontière avec le Mexique. Les efforts des Américains pour sécuriser leur frontière nord sont aussi beaucoup moins importants que ceux déployés à la frontière sud.

Lors de l’année 2024, moins de 2 % des contrôles migratoires effectués par les services frontaliers américains ont eu lieu à la frontière canado-américaine, et moins de 0,5 % du fentanyl saisi aux États-Unis provenait du Canada.

« C’est le jour et la nuit »

Selon les données de la CBP, la très grande majorité des interceptions effectuées par les autorités se font à la frontière avec le Mexique.

Les contrôles migratoires qui correspondent aux appréhensions d’individus non autorisés sur le territoire américain (le titre 8 du code civil américain), ainsi que les expulsions systématiques prévues lors de la pandémie de COVID-19 (le titre 42, dont l’application a pris fin en mai 2023), ont été effectués en très grande majorité au sud. En 2024, sur ces 1,56 million d’interventions, 1,53 million ont eu lieu à la frontière mexicaine ; seuls 23 721 contrôles ont eu lieu à la frontière avec le Canada.

Les données de la CBP concernant le trafic de fentanyl à la frontière suivent les mêmes tendances. La très grande majorité des saisies de cette drogue sont faites à la frontière sud. En 2024, des 9928 kilogrammes de fentanyl interceptés par la CBP, 9592 kg provenaient du Mexique, contre environ 19 kg pour le Canada, soit environ 0,2 %.

« C’est le jour et la nuit [entre le Mexique et le Canada] », résume au Devoir Karine Côté-Boucher, professeure agrégée à l’École de criminologie de l’Université de Montréal. L’experte en criminalité des frontières souligne que la situation y est si différente qu’elle est presque incomparable. « Les efforts faits par les États-Unis à la frontière américano-mexicaine sont gigantesques. Il y a un mur, des barbelés, la présence de la Garde nationale… On parle, depuis la fin des années 1990, de la militarisation de la frontière [sud]. » À la frontière canado-américaine, toutefois, la présence de la Border Patrol est plutôt limitée. « Il y a eu très peu d’efforts pour technologiser cette frontière. »

Cela n’a pas empêché la frontière canadienne d’être perçue comme un problème par les États-Unis à certains moments. « Depuis septembre 2001, il y a un discours qui circule disant que la frontière avec le Canada est poreuse. Ce discours-là n’est pas très bien ancré dans la réalité, mais il génère une rhétorique qui est utilisable à plusieurs sauces. »

Ce prétexte a ainsi refait surface durant la plus récente campagne présidentielle américaine. « Cette année, cette rhétorique-là est utilisée pour imposer des concessions économiques au Canada. Mais il y a une différence entre une rhétorique et la réalité des choses », rappelle Mme Côté-Boucher.

Le Canada, faux responsable ?

En décembre dernier, en réponse à l’intention alors non confirmée du président Trump d’imposer des tarifs douaniers au Canada, le premier ministre fédéral, Justin Trudeau, avait annoncé des investissements de 1,3 milliard de dollars sur six ans pour protéger la frontière canado-américaine.

« Les premiers hélicoptères de patrouille ont commencé à surveiller la frontière plus tôt cette semaine, et de nouvelles équipes de chiens détecteurs, ainsi que des outils d’imagerie, sont déployées pour détecter et stopper le flux de fentanyl », a indiqué le premier ministre lors d’un point de presse vendredi matin, à la veille de la mise en place des tarifs de Trump.

Karine Côté-Boucher se montre toutefois perplexe devant cette manœuvre de M. Trudeau. « La réponse canadienne, actuellement, me surprend, parce que nous ne sommes pas responsables de la sécurité frontalière des Américains. Nous sommes responsables de notre sécurité frontalière, de ce qui rentre chez nous. Ça m’étonne — surtout, sachant que, depuis 20 ans, la frontière américano-canadienne n’a pas été particulièrement importante aux yeux des Américains », rappelle-t-elle.

« Actuellement, le président américain dit au Canada qu’on surveille mal notre frontière, alors que c’est un peu à eux de faire ça, estime la chercheuse. C’est à eux de mettre davantage de personnel s’ils désirent sécuriser cette frontière. »

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