«Négocier» par la cruauté

Il a suffi à Donald Trump d’une conférence de presse de 40 minutes pour renier plus de 70 ans de discussions de paix dans le conflit israélo-palestinien. La stupeur suscitée par son inhumaine proposition de déplacer de force tous les Palestiniens de Gaza a frappé jusqu’au sein même de l’entourage du président américain, dont le mépris pour le droit international et la plus élémentaire empathie ont franchi de nouvelles frontières mardi.

Le plus froidement du monde, Donald Trump a suggéré, aux côtés du premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou, que les États-Unis prendraient « contrôle » de la bande de Gaza pour en avoir « possession à long terme » et y créer un « développement économique ». Une sorte de « Riviera du Proche-Orient », purgée des 2,2 millions de Gazaouis qui seraient chassés de chez eux vers les pays voisins.

Le fragile cessez-le-feu à Gaza et au Liban venait ainsi d’être instantanément torpillé. La solution à deux États répudiée, par un président américain statuant que l’approche des précédentes décennies « n’a jamais fonctionné et ne fonctionnera jamais ».

Benjamin Nétanyahou, en visite officielle à Washington, ne pouvait rêver mieux. Les Palestiniens, eux, ne pouvaient craindre pire.

Sous couvert d’une fallacieuse bienveillance, le président a même poussé l’odieux jusqu’à insinuer qu’il en allait du bien-être des Gazaouis, qui rentrent chez eux ces jours-ci pour ne trouver que des décombres et la destruction totale laissée par 16 mois de bombardements incessants déclenchés par Israël au lendemain de l’attentat meurtrier du 7 octobre 2023 par le Hamas.

L’équipe de Donald Trump a tenté de tempérer quelque peu ses propos, pour parler d’un déplacement « temporaire » et d’un rôle américain de simple « partenaire » dans la reconstruction. Mais le mal d’une désastreuse abjuration était fait.

Cet insensé projet immobilier, concocté par le président lui-même sans consulter l’appareil gouvernemental ni même son secrétaire d’État, Marco Rubio, ne promeut rien de moins qu’un nettoyage ethnique, ont prévenu les Nations unies.

Cette cruelle idée de Donald Trump expose par ailleurs toute l’incohérence d’un président qui prônait un désengagement militaire à l’étranger lors de son premier mandat, pour adopter dans les premiers jours de son second une tout autre arrogance impérialiste (à l’endroit de Gaza, du Panama, du Groenland ou du Canada comme 51e État). Sa proposition, avant d’être recadrée quelque peu par son équipe, aurait entraîné l’armée américaine dans un nouveau bourbier. La facture humanitaire aurait été astronomique pour un gouvernement qui vient inexplicablement de suspendre toute son aide internationale par souci comptable.

Cet appui indéfectible à Israël s’inscrit cependant en complète concordance pour Donald Trump, qui a déplacé l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem et qui vient de nommer un ambassadeur niant l’existence même de colonies israéliennes.

En proposant l’impensable, peut-être le président ressortait-il sa technique éprouvée de négociations corsées dans l’objectif non pas d’occuper réellement la bande de Gaza, mais de forcer avant tout la main de ses voisins en Jordanie et en Égypte. Et celui de convaincre l’Arabie saoudite d’accepter de normaliser ses relations avec Israël afin d’élargir les accords d’Abraham. Mais l’indignation est unanime et la stratégie trumpienne est en voie de pétarader.

La ruse de la distraction a toutefois fonctionné à merveille, Benjamin Nétanyahou ayant été épargné, à la Maison-Blanche, d’avoir à se prononcer sur les suites du cessez-le-feu et les prochaines ultimes étapes pour mettre fin à la guerre.

Que le président d’une prétendue démocratie américaine se sente investi de déplacer de force des êtres humains comme du bétail — hors de Gaza, mais aussi pour envoyer des réfugiés dont lui ne veut pas au Salvador, en Colombie ou à Guantánamo, « l’enfer sur terre » — ne viendra que conforter les velléités impérialistes du président russe, Vladimir Poutine, en Ukraine ou de son homologue chinois, Xi Jinping, à Taïwan, se croyant à leur tour tout aussi omnipotents.

Tout comme les dirigeants israéliens d’extrême droite, dont le ministre Bezalel Smotrich, qui s’est empressé de promettre de tout faire pour « enterrer définitivement » l’idée d’un État palestinien. Pendant que le Hamas se hâte de brandir le spectre de nouvelles violences. L’espoir des dernières semaines d’accalmie s’est instantanément évanoui.

Au Canada, le gouvernement de Justin Trudeau s’est enfoncé dans ses compromissions répétées, laissant passer 24 heures (et le temps de voir où logeraient ses alliés) avant de s’opposer poliment au déplacement forcé de Gazaouis et de réitérer la nécessité d’une solution à deux États négociée. Deux petits gazouillis, rien de plus.

Trop peu, trop tard, a déploré à la CBC la représentante de la Palestine au Canada, Mona Abuamara. « Ce dont nous parlons présentement, c’est de ne pas avoir de territoire du tout pour parler d’une solution à deux États », a-t-elle regretté, diplomate et bienséante.

D’autres se seraient permis de dénoncer haut et fort un mutisme éhonté.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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