Les accords d’Abraham toujours dans le viseur de Trump

Malgré sa déclaration incendiaire sur l’avenir de Gaza, Donald Trump maintient son objectif d’élargir les accords d’Abraham au Moyen-Orient, une réalisation phare de son premier mandat. Le républicain espère réussir là où ses prédécesseurs ont échoué : normaliser les relations entre Israël et l’Arabie saoudite. Mais Riyad a réaffirmé mercredi que rien de tout cela ne se fera sans une reconnaissance d’un État palestinien.
Mardi soir, Trump a semé la consternation à travers le monde en déclarant que les États-Unis allaient « prendre le contrôle » de la bande de Gaza, déplacer les Palestiniens qui y vivent, pour en faire une « Côte d’Azur du Moyen-Orient ».
Dans le tonnerre de critiques qui a retenti, l’Arabie saoudite a fait résonner sa voix « ferme et inébranlable » : le pays « poursuivra sans répit ses efforts pour l’établissement d’un État palestinien indépendant avec Jérusalem-Est comme capitale et n’établira pas de relations diplomatiques avec Israël sans cela ».
Le ministère saoudien des Affaires étrangères a spécifié sur X que sa position « n’est ni négociable ni sujette à marchandages ».
Pour Marc Sievers, ex-diplomate et ambassadeur des États-Unis à Oman de 2016 à 2019 sous les présidents Obama et Trump, les intentions de Washington ne sont pour l’instant en rien étoffées.
« Trump a une façon très particulière de capter l’attention avec des déclarations spectaculaires […], souligne-t-il. Mais d’un autre côté, je pense qu’il est nécessaire de réfléchir autrement à ce qu’il faut faire, on ne peut pas répéter continuellement ce cycle [de violence au Proche-Orient]. »
Priorité
Dans ce tourbillon de provocations ou d’intentions, un socle demeure : « l’une des principales priorités diplomatiques » du deuxième mandat de Trump est la normalisation des relations entre Israël et l’Arabie saoudite, assure l’ex-ambassadeur, aujourd’hui à la tête du AJC Abou Dabi - The Sidney Lerner Center for Arab-Jewish Understanding, aux Émirats arabes unis.
Une vision que partage Élie Barnavi, ex-ambassadeur d’Israël en France de 2000 à 2002. « C’est l’un de ses grands projets de compléter la normalisation entreprise d’abord avec les pays du Golfe [Émirats arabes unis et Bahreïn], puis avec le Soudan et le Maroc. Pour Trump, l’Arabie saoudite serait le grand prix », a mentionné l’ex-diplomate à l’occasion d’une entrevue réalisée avec Le Devoir avant la déclaration de Trump de mardi soir.
Les accords d’Abraham — ayant permis l’établissement de relations diplomatiques entre Israël et ces quatre pays arabes, jusque-là opposés à l’État hébreu — sont l’une des plus grandes fiertés de Trump, réalisés sous son premier mandat.
Jusqu’au 7 octobre 2023, les discussions allaient bon train entre Israël et la puissante monarchie du Golfe. Mais elles ont brusquement été interrompues par l’attentat du Hamas et la riposte israélienne qui s’ensuivit. Depuis, « c’est devenu beaucoup plus compliqué », poursuit M. Barnavi, aujourd’hui professeur émérite d’histoire à l’Université de Tel-Aviv, en Israël.
Mohammed ben Salmane, le prince héritier d’Arabie saoudite, « s’est mis à imposer des conditions ». Il réclame depuis « un geste israélien vis-à-vis des Palestiniens », un engagement à paver la voie vers la création d’un État palestinien. « Il n’attend que ça pour signer. » Du moins, c’était le cas avant la déclaration de Trump de mardi soir.
La forme que prendrait cet État n’est toutefois pas clairement définie. « Cet engagement peut être pris de bien des façons différentes », estime Marc Sievers. Il y a une vingtaine d’années, alors qu’il travaillait au département d’État sous la présidence de George W. Bush, des discussions avaient déjà lieu entre émissaires américains et israéliens sur la création d’un État palestinien.
Il était alors question d’un « État amoindri » (« state minus »), explique M. Sievers. « En d’autres termes, les Palestiniens n’auraient pas le contrôle de leurs frontières, de leur espace aérien, de leurs réseaux de télécommunications. Mais ils seraient l’organe gouvernemental sur le terrain et fourniraient tous les services normaux que les gouvernements offrent. Mais sans être un État pleinement souverain. »
Alliance entre pays sunnites et Israël ?
Si les États arabes sunnites — avec l’Arabie saoudite en tête — et Israël parvenaient à s’entendre sur une feuille de route menant à la création d’un État palestinien, la voie serait ensuite ouverte pour qu’ils concluent ensemble une alliance géopolitique majeure — chapeautée par les États-Unis — qui bouleverserait l’équilibre de la région.
L’Arabie saoudite et Israël ont en commun leur profonde inimitié envers l’Iran, puissance régionale chiite, également dans la mire des États-Unis en raison de son programme nucléaire.
Depuis le 7 octobre 2023, l’axe de résistance piloté par l’Iran s’est largement effrité avec l’écroulement du Hezbollah au Liban, suivi de la chute du régime al-Assad en Syrie et de l’affaiblissement de l’Iran après les frappes menées par Israël. La conjoncture est donc favorable pour redéfinir l’équilibre des puissances.
Déjà, Trump a demandé mardi à son gouvernement de préparer une nouvelle salve de sanctions contre l’Iran afin de maintenir une « pression maximale » contre le régime des ayatollahs. Deux voies se traceront ensuite devant lui : négocier un nouvel accord avec l’Iran pour que le pays limite ses ambitions nucléaires en échange d’une levée des sanctions ou mener des frappes contre les installations nucléaires iraniennes, une voie plutôt improbable pour l’instant.
Il y a fort à parier que ces prochains mois, Trump fera peser toute son influence pour que l’Arabie saoudite normalise ses relations avec Israël et que l’Iran mette un frein à son programme nucléaire, deux éléments clés qui stabiliseraient la région. « Quelle que soit la manière dont vous considérez le Proche-Orient, il se trouve à un carrefour, souligne M. Barnavi. Et toutes les directions sont possibles. »