L’ONU met en garde contre tout «nettoyage ethnique» après les propos de Trump sur Gaza

Un drapeau palestinien flottait au-dessus d’une foule de Gazaouis se dirigeant vers le nord de la bande de Gaza, le 27 janvier dernier.
Photo: Omar Al-Qattaa Agence France-Presse Un drapeau palestinien flottait au-dessus d’une foule de Gazaouis se dirigeant vers le nord de la bande de Gaza, le 27 janvier dernier.

Le gouvernement américain s’est efforcé mercredi de nuancer la proposition du président Donald Trump de prendre le contrôle de Gaza, et le chef de l’ONU a mis en garde contre un « nettoyage ethnique » dans le territoire palestinien.

Après un déluge de critiques internationales sur le projet d’une prise de contrôle américaine de Gaza et d’un déplacement de sa population, le secrétaire d’État Marco Rubio a affirmé que tout transfert des Gazaouis serait temporaire.

M. Trump veut « reconstruire les bâtiments » afin que « les gens puissent y retourner », a-t-il dit.

La Maison-Blanche, elle, a indiqué que Donald Trump ne s’était pas engagé « pour l’instant » à envoyer des troupes à Gaza.

Le président américain a cependant assuré que « tout le monde adore » sa proposition, annoncée au moment où doivent reprendre les délicates négociations sur la poursuite de la trêve. Le Hamas l’a accusé de « jeter de l’huile sur le feu ».

Donald Trump a fait cette annonce mardi après avoir reçu à la Maison-Blanche le premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou.

Dans une interview à la chaîne Fox News mercredi soir, le dirigeant israélien a qualifié l’idée de « remarquable ».

« C’est la première bonne idée que j’ai entendue », a-t-il déclaré, estimant qu’elle devait être « examinée, poursuivie et réalisée ». M. Nétanyahou a laissé entendre que l’initiative ne signifiait pas nécessairement que les Palestiniens quittent définitivement le territoire.

« Ils peuvent partir, ils peuvent revenir, ils peuvent se réinstaller et revenir, mais il faut reconstruire Gaza », a-t-il déclaré.

La proposition américaine s’est heurtée à une fin de non-recevoir catégorique du gouvernement palestinien.

« Nous ne permettrons pas que soient bafoués les droits de notre peuple », a rétorqué le président palestinien, Mahmoud Abbas, rival du Hamas.

« Il est essentiel d’éviter toute forme de nettoyage ethnique », a souligné le secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, devant le comité de l’ONU sur l’exercice du droit inaliénable des Palestiniens. Il a rappelé le « droit des Palestiniens à tout simplement vivre comme des êtres humains sur leur propre terre ».

Donald Trump a répété mardi que selon lui les habitants de la bande de Gaza, région en ruine après 15 mois de guerre, pourraient aller vivre en Jordanie ou en Égypte, malgré l’opposition de ces pays.

Reconstruire avec des « partenaires »

« Les États-Unis vont prendre le contrôle de la bande de Gaza », a-t-il dit au côté de M. Nétanyahou, parlant du territoire palestinien comme d’un « chantier de démolition ».

Le président américain a affirmé que les États-Unis allaient « aplanir la zone », afin de la développer économiquement et de faire de Gaza la « Côte d’Azur du Moyen-Orient ».

Les États-Unis « ne financeront pas la reconstruction de Gaza », a cependant affirmé mercredi la porte-parole de la Maison-Blanche, Karoline Leavitt. Le gouvernement américain va travailler avec ses « partenaires dans la région pour reconstruire » Gaza, a-t-elle ajouté.

Dans le territoire assiégé, beaucoup d’habitants rentrés chez eux à la faveur de la trêve excluaient la possibilité de quitter Gaza.

« Nous sommes revenus malgré les destructions massives […]. Nous sommes revenus parce que nous refusons catégoriquement l’idée d’être déplacés », a affirmé Ahmed al-Minaoui, rentré dans la ville de Gaza.

« Je suis Gazaoui, mon père et mon grand-père sont originaires d’ici […]. Nous n’avons qu’une seule option : vivre ou mourir ici », a ajouté Ahmed Halasa, un habitant de la même ville âgé de 41 ans.

« Facteur de déstabilisation majeur »

En revanche, pour Kfir Dekel, un Israélien de 48 ans qui vit dans la zone frontalière avec Gaza, « le plan de Trump a du sens ». « Gaza est complètement détruite et il est impossible de faire des réparations tant qu’il y a des gens. » « Laissons-les partir et construire leur vie ailleurs, et nous ferons vraiment de ce lieu un îlot de paix. »

L’Égypte a appelé mercredi l’Autorité palestinienne, dirigée par Mahmoud Abbas, à reprendre le contrôle du territoire, d’où elle avait été chassée en 2007 quand le Hamas y a pris le pouvoir.

Photo: Abdel Kareem Hana Associated Press Un homme vendant du pain sous les décombres de sa boulangerie détruite par l’offensive aérienne et terrestre israélienne à Jabaliya, dans la bande de Gaza, mercredi

Le président égyptien et son homologue français, Emmanuel Macron, ont averti que tout « déplacement forcé de la population palestinienne à Gaza comme en Cisjordanie serait inacceptable ». « Il s’agirait d’une violation grave du droit international, d’une entrave à la solution à deux États et d’un facteur de déstabilisation majeur pour l’Égypte et la Jordanie », ont-ils jugé lors d’un échange téléphonique, selon un communiqué de la présidence française.

La Jordanie, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et la Ligue arabe ont aussi rejeté le plan américain, de même que l’Union européenne.

Le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Volker Türk, a en outre rappelé que tout transfert forcé ou expulsion d’un territoire occupé étaient « strictement prohibés ».

Opposé à l’accord de trêve, le ministre israélien d’extrême droite Bezalel Smotrich a promis mercredi de tout faire pour « enterrer définitivement » l’idée d’un État palestinien.

« Colonisation du XXIe siècle »

L’organisation israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem a, quant à elle, qualifié le plan de Trump de « fou », et la secrétaire générale d’Amnesty International, Agnès Callamard, a dénoncé une « forme de colonisation du XXIe siècle ».

« Beaucoup de destructions à Gaza reflètent une politique israélienne calculée visant à rendre certaines parties de la bande inhabitables », a pour sa part déclaré Lama Fakih, directrice pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord chez Human Rights Watch. « Les États-Unis passeraient d’être complices de crimes de guerre à perpétrer directement des atrocités », a-t-elle ajouté.

La rencontre à la Maison-Blanche entre MM. Trump et Nétanyahou a coïncidé avec l’annonce d’une reprise des négociations sur le cessez-le-feu à Gaza, dont une première phase de six semaines a débuté le 19 janvier, mais dont la suite reste incertaine.

Le Hamas a annoncé mardi que ces négociations avaient « commencé ».

Israël a indiqué qu’il enverrait « en fin de semaine » une délégation au Qatar, l’un des trois pays médiateurs avec les États-Unis et l’Égypte, pour discuter de la poursuite de la trêve.

La première phase a permis jusqu’à présent la libération de 18 otages retenus à Gaza et d’environ 600 Palestiniens détenus par Israël, un afflux de l’aide humanitaire et le retour de plus d’un demi-million de déplacés dans le nord du territoire.

La deuxième phase doit en principe permettre la libération des derniers otages et la fin définitive de la guerre, avant une dernière étape consacrée à la reconstruction de Gaza.

Au total, 251 personnes avaient été enlevées le 7 octobre 2023 lors de l’attaque du Hamas contre Israël, qui a entraîné la mort de 1210 personnes du côté israélien, en majorité des civils, selon un décompte de l’AFP basé sur des données officielles israéliennes.

L’offensive israélienne menée en représailles dans la bande de Gaza a fait au moins 47 518 morts, en majorité des civils, selon les données du ministère de la Santé du Hamas, jugées fiables par l’ONU.

Les réactions internationales

France

« La France est opposée pleinement aux déplacements des populations », a déclaré la porte-parole du gouvernement français, Sophie Primas, jugeant les déclarations de Donald Trump « dangereuses pour la stabilité et pour le processus de paix ».

Royaume-Uni

Les Palestiniens de Gaza « doivent pouvoir revenir chez eux. Ils doivent pouvoir reconstruire, et nous devons être avec eux dans cette reconstruction, sur le chemin d’une solution à deux États », a dit le premier ministre britannique, Keir Starmer.

Russie

« Nous avons entendu une déclaration de M. Trump, mais nous avons également entendu des déclarations d’Amman et du Caire disant qu’il y a un rejet d’une telle idée », a déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, ajoutant qu’un « règlement au Moyen-Orient ne peut se faire que sur la base de deux États. Nous pensons que c’est la seule option possible ».

Égypte

Le ministre égyptien des Affaires étrangères, Badr Abdelatty, a insisté sur « l’importance d’avancer rapidement dans les projets de relance […] à un rythme accéléré […] sans que les Palestiniens quittent la bande de Gaza, notamment en raison de leur attachement à leur terre et de leur refus de la quitter ».

Jordanie

Le roi Abdallah II a souligné « la nécessité d’arrêter les activités de colonisation et de rejeter toute tentative d’annexion de terres et de déplacement des Palestiniens à Gaza et en Cisjordanie », selon un communiqué du Palais royal.

Turquie

« La déclaration de Trump sur Gaza est inacceptable », a déclaré le ministre des Affaires étrangères turc, Hakan Fidan. « Expulser [les Palestiniens] de Gaza est une question que ni nous ni les pays de la région ne pouvons accepter. Il n’est même pas question d’en discuter ».

Chine

« La Chine a toujours soutenu le fait qu’une gouvernance palestinienne sur les Palestiniens était le principe de base de la gouvernance d’après-guerre de Gaza et nous sommes opposés au transfert forcé des habitants de Gaza », a déclaré le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Lin Jian.

Arabie saoudite

« L’Arabie saoudite réaffirme son rejet catégorique de toute atteinte aux droits du peuple palestinien, que ce soit par la colonisation, l’annexion des territoires palestiniens ou le déplacement forcé des Palestiniens », a affirmé le ministère des Affaires étrangères saoudien.

Émirats arabes unis

Le ministère des Affaires étrangères a dit « son rejet catégorique de toute atteinte aux droits inaliénables des Palestiniens et de toute tentative de déplacement », et rappelé que pour eux « la stabilité régionale ne peut être atteinte que par une solution à deux États ».

Ligue arabe

Bien que « confiant dans le désir des États-Unis et de son président de parvenir à une paix juste dans la région », le secrétariat de la Ligue a dit que sa proposition invite « au déplacement des Palestiniens, ce qui est rejeté tant par les Arabes qu’au niveau international ».

Présidence palestinienne

« Le président Mahmoud Abbas et la direction palestinienne rejettent fermement les appels à s’emparer de la bande de Gaza et à déplacer les Palestiniens hors de leur patrie », a déclaré le porte-parole de la présidence palestinienne, Nabil Abou Roudeina.

Allemagne

La bande de Gaza « appartient aux Palestiniens » et doit, « tout comme la Cisjordanie et Jérusalem-Est », faire partie du « futur État palestinien », a déclaré la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock. « La population civile de Gaza ne doit pas être expulsée et Gaza ne doit pas être occupée de manière durable, ou de nouveau colonisée ».

Italie

Le ministre des Affaires étrangères italien, Antonio Tajani, agacé d’être interrogé « sur tous les commentaires que Trump fait », a réitéré la position italienne : « Nous sommes pour la solution à deux États, nous sommes même prêts à envoyer des soldats italiens pour réunifier la bande de Gaza et la Cisjordanie ».

Espagne

« Gaza est la terre des Palestiniens de Gaza, ils doivent rester à Gaza, qui fait partie du futur État palestinien que soutient l’Espagne, qui doit vivre et coexister en garantissant la prospérité et la sécurité de l’État d’Israël », a déclaré le ministre des Affaires étrangères, José Manuel Albares.

Hamas

Le mouvement islamiste palestinien « condamne dans les termes les plus forts les déclarations de [Donald] Trump en vue d’une occupation américaine de la bande de Gaza et du déplacement de notre peuple ».

Brésil

Le président brésilien, Luiz Inácio Lula da Silva, a indiqué que c’était « aux Palestiniens de veiller sur Gaza » et que la proposition de Donald Trump était « quasiment incompréhensible ».

Indonésie

L’Indonésie, qui compte la population musulmane la plus importante dans le monde, « rejette vigoureusement toute tentative de déplacer de force les Palestiniens ou de modifier la composition démographique du territoire palestinien occupé », a déclaré le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué.

Nations unies

« Il est vital de rester fidèle aux fondements du droit international. Il est essentiel d’éviter toute forme de nettoyage ethnique », est-il indiqué dans un discours que devait prononcer António Guterres plus tard dans la journée, d’après son porte-parole Stéphane Dujarric.

Agence France-Presse

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