Les flous québécois de Pierre Poilievre
Le chef conservateur Pierre Poilievre a beau faire la cour au Québec depuis des mois, tous ses points de presse et toutes ses entrevues médiatiques n’ont toujours pas permis d’éclaircir les non-dits de son programme politique. Le leader péquiste, Paul St-Pierre Plamondon, a visé juste en les recensant sur le réseau X. La preuve étant que M. Poilievre, qui se délecte d’ordinaire d’y avoir sans cesse le dernier mot, n’a pas su asséner le dernier coup cette fois-ci.
À Paul St-Pierre Plamondon, qui l’accusait de n’éprouver que du « mépris pour le Québec », Pierre Poilievre a rétorqué qu’il prônerait, s’il est élu à la tête du gouvernement fédéral, non pas l’interventionnisme débridé du gouvernement libéral de Justin Trudeau, mais « un fédéralisme responsable ».
Il est vrai que les conservateurs sont certes traditionnellement moins adeptes de l’étatisme. Paul St-Pierre Plamondon aura du mal à convaincre le public, à ce chapitre, qu’entre M. Poilievre et M. Trudeau, c’est blanc bonnet et bonnet blanc. Les points d’achoppement avec le Québec et ses valeurs, bien qu’incarnés différemment, ne sont toutefois pas moins irritants.
Et le chef péquiste n’a en revanche pas tort de souligner qu’un gouvernement conservateur de Pierre Poilievre serait redevable avant tout à l’Ontario et aux provinces de l’Ouest. Car même avec les gains électoraux projetés au Québec — où le parti passerait de 10 à 16 sièges aux Communes —, les Québécois ne représenteraient encore que 7 % des députés de la formation. L’Ontario, selon les projections actuelles de l’agrégateur de sondages Philippe J. Fournier, rassemblerait 41 % des forces élues conservatrices, et les Prairies, 25 %.
Difficile de prétendre que la voix du Québec serait enfin entendue, des membres de l’entourage du chef ayant de toute façon déjà décrété que les efforts déployés par le parti pour séduire les Québécois avaient été peine perdue et que cela n’avait pas pour autant privé l’ancien premier ministre conservateur Stephen Harper d’une victoire majoritaire en 2011.
Pierre Poilievre ne promet donc pas de plateforme électorale distincte pour les Québécois. Certains éléments, soulevés justement en vain par M. St-Pierre Plamondon, risquent ainsi de demeurer encore sans réponse. Comme la volonté du chef conservateur de céder ou non davantage de pouvoirs au Québec en immigration. De même que sa disposition à bonifier les transferts en santé ou à encadrer le pouvoir fédéral de dépenser.
Le chef conservateur a parfait l’art du mutisme. Bien que M. Poilievre ait eu le temps de publier 13 gazouillis jeudi, jour de la décision de la Cour suprême d’entendre la contestation de la Loi sur la laïcité de l’État québécois (la loi 21), ni lui ni son équipe n’ont voulu commenter le dossier et encore moins confirmer qu’un gouvernement conservateur prendrait part, comme un gouvernement libéral, aux audiences le moment venu. Ce même M. Poilievre qui, tout en contestant la loi québécoise, se prévaudrait nonobstant à son tour de la disposition de dérogation afin de resserrer le Code criminel à coups de peines minimales obligatoires et de peines d’emprisonnement consécutives, précédemment rejetées par le plus haut tribunal du pays.
Ce « désengagement » promis par rapport aux champs de compétence du Québec, même si un gouvernement conservateur restait cantonné aux pouvoirs du fédéral, ne se traduit pas pour autant par un respect des consensus québécois. En matière de contrôle des armes à feu, M. Poilievre abrogerait l’interdiction d’armes d’assaut et le gel sur les armes de poing. En environnement, il sabrerait les politiques de réduction des GES et répliquerait au protectionnisme de Donald Trump en autorisant la construction d’oléoducs, et ce, tant vers l’ouest que vers l’est, en passant par le Québec. Il refuse d’élargir l’aide médicale à mourir, ne dit mot sur le domaine de la culture ni le sort qui attend Radio-Canada à la suite des importantes compressions qu’il réserve à la CBC.
Le premier ministre François Legault ne cherche qu’à se trouver un meilleur allié fédéral que le gouvernement libéral. Il risque fort cependant de devoir s’avouer déçu.
Quant à Paul St-Pierre Plamondon, son pari de voir l’arrivée du président Trump et d’un premier ministre Poilievre ragaillardir l’option souverainiste, si les valeurs du Québec sont bafouées et que ses intérêts sont sacrifiés dans la querelle commerciale annoncée, n’est pas plus garanti d’être gagné. N’empêche, Pierre Poilievre aura fort à faire pour ne pas nourrir son argumentaire.
Pendant que le Parti libéral du Canada se choisit un prochain chef, les partis d’opposition sillonnent déjà en précampagne électorale ses contrées convoitées. Le chef conservateur martèle ses slogans quasi quotidiennement. Il est plus que temps pour lui de combler enfin ses flous artistiques également. Autrement, les Québécois pourraient bien conclure, comme M. St-Pierre Plamondon, que ses astucieux silences traduisent tout simplement une indifférence.
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