Papier, crayons et naloxone

Le père du jeune Mathis Boivin, hélas décédé d’une surdose, a totalement raison : il n’est pas normal que toutes les écoles secondaires du Québec ne soient pas équipées de trousses de naloxone, un antidote qui permet de renverser l’effet d’une surdose d’opioïdes. Christian Boivin a aussi raison de rappeler ce que contient le rapport de la coroner ayant enquêté sur les circonstances du décès de son garçon de 15 ans, en décembre 2023. Malgré le fait que la naloxone est gratuite et facile d’accès et qu’elle peut sauver des vies, sa présence dans les écoles est à géométrie variable, et il n’existe pas d’efforts concertés en haut lieu politique pour imposer les trousses de survie.

Enfin, pas encore. En réaction aux articles de notre journaliste Jessica Nadeau, les ministres de l’Éducation, Bernard Drainville, et des Services sociaux, Lionel Carmant, ont affirmé vouloir travailler de pair afin de favoriser l’accès à la naloxone dans les écoles. Ils espèrent aussi que la Direction de la santé publique reverra sa ligne directrice, qui, en 2019, ne faisait pas de la présence universelle de trousses de naloxone dans les écoles une recommandation officielle. Cette indolence n’a plus sa raison d’être dans le contexte actuel, d’autant plus que ce geste de prévention est facile d’accès et gratuit.

Il est aussi salvateur. Ce médicament permet à quelqu’un qui était en arrêt respiratoire de recommencer à souffler en l’espace de 2 à 5 minutes à peine. Il est sans danger connu pour la santé. Il ne crée pas de dépendance et n’agit que si des opioïdes sont présents dans l’organisme du receveur. Pourquoi s’en passer ?

Entre 2017 et 2023, il y a eu moins de cinq décès de jeunes de moins de 17 ans par surdose à Montréal. Ces statistiques ne doivent toutefois pas brouiller notre vision des choses et ankyloser nos actions : même si le Québec n’a pas des taux de mortalité attribuable à une intoxication aux opioïdes aussi élevés que d’autres provinces, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) note une tendance à la hausse — de juillet 2023 à juin 2024, il y a eu 619 décès liés à une intoxication suspectée aux opioïdes ou autres drogues, ce qui inclut les stimulants. À l’échelle canadienne, pendant les six premiers mois de 2024, 3787 décès « apparemment liés à une intoxication aux opioïdes » — soit 21 décès par jour — ont été recensés par le ministère fédéral de la Santé mentale et des Dépendances. Il s’agit d’une baisse de 11 % par rapport à 2023.

On ne devrait pas attendre un décès pour réveiller les consciences. La Colombie-Britannique l’a appris à la dure lors de la mort par surdose de fentanyl de Sidney McIntyre-Starko, en janvier 2024. La jeune femme de 18 ans fréquentait l’Université de Victoria. Après une journée d’étude, elle a avalé des comprimés en compagnie de copains dans le confort de la résidence étudiante. Les efforts des services d’urgence, après son arrêt cardio-respiratoire, n’ont pas permis de la sauver. Dans les mois suivant cette mort tragique, le recteur de l’Université a mis en branle tout un plan de prévention au centre duquel l’accès à la naloxone et la formation trônaient. Le décès de Sidney a eu un impact important dans tout le réseau scolaire, avec l’entrée massive de trousses de naloxone dans les établissements.

On le sait, la réponse à la crise des surdoses est multidimensionnelle. Outre les actions de répression liées au caractère illicite des drogues, la politique de réduction des méfaits à laquelle le Canada adhère mise sur une approche humaniste et pragmatique. Elle intègre par exemple des mesures sanitaires d’encadrement de la consommation, à côté des seuls allers-retours en prison. Certes, les centres d’injection supervisée n’ont peut-être pas livré à eux seuls les bénéfices attendus, pas plus que l’administration de médicaments sur ordonnance en lieu et place de drogues toxiques, mais ça n’est pas une raison pour vouloir effacer les programmes de prévention et les actions de soutien. C’est précisément pourtant ce qu’entend faire le chef conservateur Pierre Poilievre, qui a promis la semaine dernière que, s’il était élu, il imposerait plutôt la prison à vie pour toute personne reconnue coupable de trafic, de production ou d’exportation de plus de 40 mg de fentanyl — une dose de 2 mg est suffisante pour provoquer la mort.

Ce non-sens conservateur, qui s’inscrit parfaitement dans l’imposition de la ligne dure et autoritaire, est encouragé par les lubies du président américain, Donald J. Trump, qui a réussi à imposer l’idée probable de tarifs douaniers de 25 % au Canada sur de fausses prémisses. Contrairement à ce que le président affirme, il n’y a pas de quantités « énormes » de fentanyl traversant au Canada, car elles sont établies à moins de 1 % de l’offre américaine.

S’il est vrai que les efforts politiques en matière de réduction des méfaits n’ont pas fonctionné à la hauteur des espérances, on ne peut imaginer rayer de la carte des politiques d’encadrement de la consommation, d’accompagnement psychosocial, de traitement de substitution et toute forme d’initiative d’éducation et de prévention au nom de la glorification de la répression. C’est un penchant dont le Canada n’a que faire.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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