Pas de nouvelles directives sur la naloxone dans les écoles

La naloxone est un antidote qui permet de renverser temporairement les surdoses d’opioïdes.
Photo: Olivier Douliery Arcehives Agence France-Presse La naloxone est un antidote qui permet de renverser temporairement les surdoses d’opioïdes.

Bien que la crise des surdoses fasse de plus en plus de victimes au Québec, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) n’a toujours pas revu ses directives de distribution de naloxone dans les écoles secondaires depuis 2019.

La ligne directrice, qui date de plus de cinq ans, ne recommande pas la distribution de naloxone dans les écoles secondaires et rappelle que les directions d’établissements qui le souhaitent peuvent se procurer des trousses gratuitement dans les pharmacies. La naloxone est un antidote qui permet de renverser temporairement les surdoses d’opioïdes.

« Considérant qu’il n’y a pas de nouvelles données qui permettraient d’orienter autrement les milieux, les orientations ministérielles de 2019 quant à une distribution massive de naloxone dans les écoles secondaires du Québec n’ont pas changé », affirme le ministère, en réponse aux questions du Devoir.

Pourtant, en décembre 2023, la conseillère en prévention et réduction des méfaits au MSSS, Cinthia Lacharité, écrivait dans un courriel dont Le Devoir a obtenu copie par la Loi d’accès à l’information que « le dossier naloxone est un dossier dont il faudra se préoccuper rapidement, notamment en ce qui concerne les milieux scolaires ».

« Actuellement au Québec, nous ne recommandons pas la distribution systématique de naloxone dans les écoles, mais de plus en plus de milieux sont préoccupés », ajoutait celle qui cosigne la stratégie nationale de prévention des surdoses de substances psychoactives du gouvernement du Québec pour 2022-2025.

Aucun document obtenu par Le Devoir ne donne suite à cette préoccupation de la responsable du dossier. Le MSSS n’est pas non plus en mesure d’indiquer si une suite a été donnée à ce courriel ou si des démarches plus larges ont été entreprises depuis 2019 pour réévaluer le dossier en fonction de l’évolution de la crise des surdoses.

Aucune donnée au MEQ

Un autre échange datant de 2021 entre le responsable de la prévention du ministère de l’Éducation, Maxime Rousseau, et son homologue du MSSS, Cinthia Lacharité, témoigne de préoccupations du milieu.

Dans ce courriel, M. Rousseau indique avoir reçu « une question provenant des directions du secondaire qui aimeraient connaître les règles qui encadrent la nécessité de se procurer des trousses de naloxone pour les écoles ». Il dit n’avoir trouvé aucune information à ce sujet, à l’exception de la lettre qui avait été envoyée à tous en 2019 et demande donc « si de nouvelles recommandations sont apparues depuis ».

Le ministère de l’Éducation « n’a pas de données liées à la distribution de la naloxone en milieu scolaire », indique la direction des communications au Devoir. Quant à savoir si des discussions ont eu lieu avec le ministère de la Santé à ce sujet, on esquive la question et on assure que « le MEQ collabore toujours avec le MSSS sur différents sujets de santé touchant les jeunes en milieu scolaire, notamment les substances psychoactives ».

Dans son rapport sur le décès par surdose du jeune Mathis Boivin, publié jeudi dernier, la coroner Stéphanie Gamache interpellait directement la Santé publique et le ministère de l’Éducation. Elle constatait que le déploiement d’activités de prévention, dont la disponibilité des trousses de naloxone, était « à géométrie variable » dans les milieux scolaires. Elle ajoutait que « le décès de Mathis doit sonner l’alarme, car il ne faut pas attendre l’accumulation de décès chez les jeunes pour faire ce constat ». Elle mentionnait enfin que les jeunes de 15 à 24 ans « constituent la population qui connaît la croissance la plus rapide » en lien avec les intoxications aux opioïdes.

Questionnements à Montréal

À Montréal, la Direction régionale de santé publique (DRSP) constate elle aussi une préoccupation dans les milieux scolaires, au point qu’un document d’information intitulé « Disponibilité de la naloxone dans les trousses de premiers soins des écoles secondaires de Montréal » a été envoyé à l’ensemble des centres scolaires de l’île le 25 novembre dernier.

« Des événements de surdoses survenus dans la région et leur médiatisation ont soulevé des questionnements pour plusieurs milieux œuvrant auprès des jeunes quant aux actions à poser en ce qui concerne la prévention et l’intervention d’urgence lors de cas de potentielles surdoses », écrit la DRSP dans ce document.

On y rappelle qu’entre 2017 et 2023, il y a eu moins de 5 décès liés à une surdose chez des jeunes de 17 ans et moins à Montréal. Aucune de ces surdoses n’est survenue dans un établissement d’enseignement.

« En revanche, bien que l’impact de la crise de surdoses soit actuellement limité chez les jeunes de 12 à 17 ans, il n’en demeure pas moins qu’une proportion de jeunes consomment des substances psychoactives (légales ou illégales) et sont donc exposés à un risque de surdose », indique la DRSP. On rappelle que « toute substance procurée illégalement est imprévisible et variable dans sa composition et peut contenir des opioïdes ».

Cet outil « va plus loin » que la ligne officielle de Québec de 2019, reconnaît la responsable du dossier à la Santé publique de Montréal, Judith Archambault Patterson, en entrevue au Devoir. Sans aller jusqu’à recommander ou non aux écoles de se procurer de la naloxone, le document donne des indications sur la façon d’intégrer la naloxone dans les milieux scolaires pour ceux qui le souhaitent.

« La naloxone en milieu scolaire peut contribuer à prévenir des décès en cas de surdoses », indique la DRSP, qui précise néanmoins qu’elle ne prévient pas les surdoses en tant que telle, raison pour laquelle « la naloxone en milieu scolaire devrait s’inscrire dans une démarche globale de promotion de la santé et de prévention de la consommation problématique ».

Calcul coûts-bénéfices

La ligne directrice de Québec, qui date de 2019, mentionne qu’« aucune donnée ne nous indique qu’il serait souhaitable et efficace de déployer des actions en ce sens ». La Santé publique se référait notamment à une étude publiée en 2018 qui évaluait le « rapport coût-efficacité des trousses de naloxone dans les écoles secondaires » pour la commission scolaire de Toronto qui souhaitait aller de l’avant avec une distribution universelle, comme c’était déjà le cas dans d’autres commissions scolaires en Ontario, en Colombie-Britannique et en Alberta.

Les analystes estimaient que, s’il y avait peu de surdoses dans les écoles secondaires de Toronto, d’autres programmes de prévention seraient une meilleure utilisation des ressources limitées de la commission scolaire. « Mais si ce n’est pas présentement financièrement avantageux d’équiper le personnel des écoles secondaires avec de la naloxone, ce le sera peut-être dans le futur », indiquaient les auteurs.

Des jeunes formés à l’école pour administrer la naloxone

Depuis 2022, les élèves de 3e secondaire sont formés à administrer la naloxone. Il s’agit d’un module spécifique sur les intoxications aux opioïdes qui a été ajouté à la formation de premiers soins déjà offerte dans les écoles par la Fondation ACT. Pour Salim Grim, gestionnaire du programme au Québec, il s’agit d’un « cheminement logique », puisque l’organisme forme les jeunes à réagir à des arrêts cardio-respiratoires. Et qu’une surdose d’opioïdes peut entraîner, justement, un arrêt cardio-respiratoire.

Dans le contexte de la crise des opioïdes, c’était une demande qui revenait souvent de la part des enseignants, ajoute la directrice des opérations, Jennifer Russell, en entrevue au Devoir l’été dernier. Elle fait le parallèle avec l’auto-injecteur d’adrénaline (EpiPen) et le défibrillateur, rappelant l’importance d’en avoir sous la main en cas de besoin. Mais avec la naloxone, il y a une barrière supplémentaire en raison de la stigmatisation liée à l’usage des drogues et aux préjugés, que les formateurs tentent de désamorcer dans les cours. « Ce qu’on leur apprend, c’est qu’une intoxication aux opioïdes n’arrive pas nécessairement dans un contexte de toxicomanie. Ça peut être grand-papa qui s’est trompé dans sa médication, un petit frère qui a pris les médicaments de maman. Ça peut être plusieurs facteurs », rappelle M. Grim.

L’organisme a formé jusqu’ici 800 enseignants dans 300 écoles du Québec. Ce sont ces enseignants, dont la certification est renouvelée tous les trois ans, qui vont ensuite former les jeunes dans les classes.

« Les évaluations des étudiants sont très positives, constate Salim Grim. Ils sont conscients que ça peut sauver quelqu’un. Ils réalisent aussi, parce que les intoxications aux opioïdes sont médiatisées, qu’ils vont pouvoir aider un ami si ça arrive. »

Jessica Nadeau

Augmentation du nombre de jeunes consommateurs qui se procurent de la naloxone en pharmacie

De plus en plus de jeunes utilisateurs de moins de 19 ans vont se procurer une trousse de naloxone en pharmacie, selon les derniers chiffres de l’INSPQ.

En 2018, 48 trousses de naloxone avaient été distribuées aux jeunes utilisateurs de moins de 19 ans. Ce chiffre augmente de façon exponentielle d’année en année. En 2023, les pharmacies ont donné 540 trousses pour cette clientèle spécifique. Entre octobre 2023 et septembre 2024, c’est près du double, avec 1031 trousses. Et cela ne concerne que les utilisateurs, et non pas ceux qui s’en seraient procuré parce qu’ils côtoient des usagers.

La distribution de naloxone en pharmacie augmente également de façon très importante dans l’ensemble de la population.

Jessica Nadeau

Une version précédente de l’article mentionnait que la Fondation ACT avait formé jusqu’ici 780 enseignants dans 274 écoles. Or, l’organisme a récemment mis à jour ses données et ce sont désormais 800 enseignants dans 300 écoles qui ont été formés.

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