Un laboratoire pour le Québec

L’école Bedford nous a offert un concentré des dangers qui guettent l’école québécoise : déni de laïcité, refus de l’égalité hommes-femmes, gouvernance scolaire anémiée, mépris des besoins particuliers de certains élèves et incompétence pédagogique. Ce quintette délétère est au cœur du plan d’action rendu public vendredi. Les experts Jean-Pierre Aubin et Malika Habel invitent le gouvernement Legault à faire de Bedford l’aiguillon d’une réforme qui dépasse les frontières de cette école prise en otage par un clan dominant d’enseignants d’origine principalement maghrébine.

Leur ambition est justifiée. Un si grand mal ne saurait s’accommoder d’une réponse simpliste. Même s’il constitue un cas atypique tant par sa gravité que par son intensité, Bedford n’est pas un cas unique, comme en témoignent la poignée d’enquêtes ouvertes dans la foulée de la mise au jour du scandale, et alors que 11 de ses professeurs sont toujours en examen, avec plein salaire. Cela en fait au contraire le laboratoire idéal pour tester les limites des leviers prévus à la Loi sur l’instruction publique (LIP).

Si on arrive à Bedford à faire en sorte de clarifier une fois pour toutes la différence « entre discipline et violence », entre « bienveillance et laxisme », entre « difficultés d’apprentissage et paresse intellectuelle », comme le prescrivent les deux experts, c’est qu’on sera en mesure de faire de même partout au Québec. Qui s’élèverait contre cet objectif à l’heure où l’école connaît une telle crise de confiance ?

L’accent a été largement mis sur la proposition de soumettre l’ensemble des enseignants québécois à une évaluation de leurs compétences tous les deux ans. À raison, c’est l’épine dorsale de ce plan, qui cherche à rétablir les équilibres délicats entre la nécessaire préservation de l’autonomie professionnelle de l’enseignant et l’indispensable assurance de sa responsabilisation.

De telles évaluations sont courantes dans la plupart des milieux de travail. Pour les parents comme pour les élèves, cette mesure fait miroiter la promesse d’un programme enfin suivi à la lettre et d’un climat en classe conforme aux attentes. Pour les enseignants eux-mêmes, elle ouvre la porte à une uniformisation des pratiques professionnelles, ce qui évitera, par effet de domino, qu’une majorité ait à souffrir les guerres de chapelle que des groupes minoritaires voudraient leur imposer, comme ce fut le cas à Bedford.

Bien accueillie par le ministre de l’Éducation comme par le Centre de services scolaire de Montréal, la mesure, et plus largement le plan d’action qui l’encourage, a suscité quelques réticences, notamment de la part de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), qui s’élève contre l’imposition généralisée de solutions forgées sur mesure pour Bedford. À ses yeux, les leviers législatifs existants sont suffisants pour superviser et évaluer adéquatement le travail des enseignants. Si cela n’a pas été fait à Bedford — et si ce n’est pas toujours fait ailleurs, comprend-on entre les lignes —, c’est « faute de temps et de ressources », argue la CSQ.

Il est vrai que la pénurie de personnel et les compressions dans les services aux élèves mettent en péril la qualité éducative du réseau. Le ministre de l’Éducation aurait tort de s’imaginer qu’il peut effacer ces facteurs fragilisants de l’équation. Mais ce que conclut le rapport d’enquête comme le plan d’action, c’est qu’il est aussi trop facile pour les directions d’écoles de passer outre aux leviers législatifs actuels, que ce soit par manque de temps, faute de conviction ou même sous la pression d’un corporatisme malavisé.

C’est pourquoi vouloir mettre les écoles à l’abri de dérives comme celles qui ont permis l’instauration d’un climat de peur et d’intimidation à Bedford passe par un dépoussiérage législatif, défendent les deux experts. Ceux-ci prescrivent notamment l’ajout d’une clarification des concepts de culture et de religion dans la loi. Partisans d’une ligne franche, ils recommandent d’y inscrire noir sur blanc que l’école doit être préservée de toute manifestation du fait religieux, pendant et après les classes. Ils suggèrent aussi d’évaluer la possibilité d’y intégrer l’obligation de parler français dans tous les espaces susceptibles d’être fréquentés par les élèves.

Ce faisant, le duo fait preuve d’une bonne dose de courage en affirmant sans détour ce que plusieurs, y compris des intervenants en éducation, se refusent à reconnaître. À savoir que les leviers prévus dans la LIP ne suffisent plus, dans le contexte explosif de 2025, à offrir aux élèves un milieu d’apprentissage sain et sécuritaire à l’abri de toute forme d’intimidation ou de violence.

Ce plan, qui s’accompagne d’un projet pilote pour en tester les grandes lignes, compte, en plus de ses impératifs législatifs costauds, des appétits financiers qui risquent de poser de grands défis au ministre. Bernard Drainville jongle déjà avec la « discipline » prescrite par le ministre des Finances pour affronter un contexte budgétaire jugé difficile, sinon sombre. Il ne faudrait pas que cette ligne dure ait le dessus sur un dépoussiérage dont on ne devrait pas faire l’économie pour les élèves du Québec.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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