Une évaluation des enseignants tous les deux ans recommandée après le scandale à l’école Bedford

L’ensemble des enseignants de la province devraient être soumis à une évaluation de leurs compétences tous les deux ans, recommandent deux accompagnateurs qui avaient été dépêchés à l’école primaire Bedford dans la foulée d’un rapport d’enquête dévastateur l’an dernier. Si certaines de leurs recommandations visent précisément cet établissement, plusieurs autres portent sur des changements législatifs qui pourraient avoir des répercussions à l’échelle de la province.
En octobre dernier, un rapport d’enquête du ministère de l’Éducation faisait état d’un « climat de peur et d’intimidation » qui avait été instauré à l’école Bedford, à Montréal, par un « clan dominant » d’enseignants qui ont par la suite été suspendus, tout comme leur brevet.
Les enquêteurs avaient entre autres rapporté des lacunes dans l’enseignement de certaines matières aux élèves, notamment en ce qui concerne les sciences et la technologie, l’éthique et la culture religieuse, de même que l’éducation à la sexualité. Des enseignants refusaient aussi l’accès à leur classe à du personnel professionnel souhaitant accompagner des élèves à besoins particuliers, en plus de se montrer fermés à toute critique sur leur modèle d’enseignement.
« Ça a eu l’effet d’un électrochoc chez nous », se rappelle la directrice générale du centre de services scolaire de Montréal (CSSDM), Isabelle Gélinas, en entrevue au Devoir. « Ce que ça met en lumière, c’est qu’il ne faut jamais hésiter à dénoncer » les situations problématiques qui peuvent survenir dans des écoles, poursuit-elle.
Cette enquête, qui faisait suite à une série de reportages publiés en 2023 par la journaliste Valérie Lebeuf, de la station de radio 98,5 FM, a mené au déploiement dans cette école du quartier Côte-des-Neiges de deux accompagnateurs chargés d’établir un plan d’action visant notamment à rétablir un climat sain dans cet établissement et à y assurer la qualité de l’enseignement. Celui-ci a été rendu public vendredi par le cabinet du ministre de l’Éducation, Bernard Drainville.
« Ce plan d’action nous permet d’agir fortement à l’école Bedford et je suis convaincu que les actions mises en œuvre par le CSSDM ainsi que l’engagement des accompagnateurs contribueront à rétablir la situation », indique une citation attribuée au ministre dans un communiqué diffusé vendredi. « On est tous d’accord pour dire que cette situation ne doit plus se reproduire et qu’elle ne reflète pas ce qu’on veut dans nos écoles du Québec », ajoute M. Drainville, qui rappelle s’être engagé l’an dernier à « légiférer pour renforcer la laïcité dans nos écoles ».
Bedford
— Bernard Drainville (@BDrainvilleQc) February 14, 2025
Nous rendons public le plan d'action des accompagnateurs.
Il contient plusieurs recommandations.
On va continuer à agir notamment pour renforcer la laïcité dans nos écoles.
Toutes les options sont sur la table.
Communiqué: https://t.co/mnak9ky6vT
Ma déclaration???????? pic.twitter.com/zmgSXNlVNE
Mieux évaluer les enseignants
Parmi les recommandations du plan d’action, on compte celle de modifier la Loi sur l’instruction publique afin que les directions d’école soient dans l’obligation de procéder à une évaluation formative de chacun de leurs enseignants « aux deux ans », en la présence d’un expert « au besoin ». Dans le cas où des lacunes dans les compétences d’un enseignant seraient soulevées au terme de cette évaluation, celui-ci devrait alors « élaborer son plan de formation individualisé en incluant des formations obligatoires », indique le plan d’action, qui précise que l’objectif de cette mesure est d’assurer « l’imputabilité de la direction quant à la qualité de l’enseignement offert dans l’établissement », tout comme celle de l’enseignant quant au maintien de ses compétences.
« Ce qu’on perçoit, c’est qu’on est en train de prendre une situation problématique dans une école et on développe des solutions à l’échelle du Québec. Pour nous, c’est problématique », a déclaré au Devoir le président de la Fédération des syndicats de l’enseignement, Richard Bergevin. Ce dernier fait valoir que « tous les outils sont déjà en place » dans la Loi sur l’instruction publique pour encadrer le travail des enseignants. Le nœud du problème, c’est le manque de financement dans le réseau de l’éducation et la pénurie de personnel qualifié, fait-il valoir.
« Il faut surtout éviter d’ajouter des règles qui vont ajouter de la lourdeur administrative alors que les gens ont déjà de la difficulté à faire leur travail de professionnel de l’éducation », les enseignants étant déjà « surchargés », ajoute-t-il.
Le rapport recommande d’autre part de revoir la composition du conseil d’établissement dans les écoles primaires et secondaires de la province afin d’y intégrer des acteurs de l’externe qui pourraient contribuer à limiter le risque que des tensions éclatent entre les parents et les enseignants qui siègent à ce conseil.
Quant au respect de la langue française, les deux auteurs du rapport vont jusqu’à recommander à Québec d’évaluer « la possibilité d’intégrer dans la loi l’obligation de parler français dans tous les espaces de l’école susceptibles d’être fréquentés par les élèves », ce qui inclut les couloirs, la cour d’école et tout autre espace commun. Une mesure qui, si elle est mise en application par le gouvernement, fera l’objet d’une analyse de la part de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse afin de valider « sa conformité avec les droits et libertés prévus à la Charte québécoise », indique l’organisation dans un courriel au Devoir.
« Comme plusieurs éléments restent aujourd’hui à préciser sur le libellé, le contexte ou la portée et qu’aucun projet de loi n’est pour le moment déposé, nous ne pouvons anticiper ce que serait notre analyse », ajoute-t-elle.
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Des actions déjà « en marche »
En ce qui concerne précisément l’école Bedford, les deux évaluateurs ont notamment demandé au CSSDM de mieux former les enseignants de l’établissement afin d’aider ceux-ci à bien distinguer la différence entre discipline et violence, bienveillance et laxisme, de même qu’entre difficultés d’apprentissage et paresse intellectuelle, peut-on lire. Le tout afin de réduire le climat d’insécurité qui s’est installé dans cette école, indiquent les deux auteurs de ce plan d’action, dont certaines des recommandations ont déjà été mises en application.
Ceux-ci recommandent par ailleurs que le CSSDM établisse une directive visant à clarifier « que les membres des services professionnels peuvent avoir accès à la classe », afin d’éviter que ne se reproduisent des situations où ceux-ci ne pourraient pas épauler des élèves à besoins particuliers en raison de l’opposition d’un enseignant.
En entrevue, Isabelle Gélinas assure d’ailleurs que toutes les actions inscrites à ce plan sont « déjà en marche » au sein du CSSDM. Elle accueille ainsi de façon « favorable » ce document qui vient, selon elle, « légitimer toutes les actions qu’on est en train de faire ».
L’Alliance des professeures et professeurs de Montréal n’avait pas réagi au moment où ces lignes étaient écrites.
Le mandat des accompagnateurs se poursuit jusqu’au 30 septembre prochain.