Pourquoi le cas de l’école Bedford est gravissime

On a fait grand cas ces derniers jours de ce qui se trame à l’école primaire Bedford, dans le quartier multiculturel Côte-des-Neiges, à Montréal. Ce que des enquêteurs du ministère de l’Éducation y ont découvert, et, avant eux, la journaliste du 98,5 Valérie Lebeuf, est révoltant et contrevient de manière outrancière à toute volonté du gouvernement du Québec d’affirmer la laïcité, l’importance de la langue française et l’égalité hommes-femmes. Comment a-t-on pu tolérer que dans cette école de Montréal la réussite des enfants soit marchandée au profit d’une réalité parallèle ?

Le rapport du ministère de l’Éducation, caviardé en partie pour masquer des informations nominatives et culturelles, ne dit pas en toutes lettres ce que l’on ressent pourtant au fil de ses 97 pages : un groupe dominant d’enseignants d’origine surtout maghrébine a dicté sa loi, reléguant au second plan toutes les règles d’usage en matière de pédagogie et de gestion de classe. Pire : le vivre-ensemble québécois, sur lequel le gouvernement de François Legault a imprimé des actions de laïcisation de l’État et de valorisation de la langue française, semble un pis-aller pour ce groupe faisant la pluie et le beau temps à l’école Bedford.

Imaginez une école où des enseignants ne parlent pas toujours le français, parfois même dans les salles de classe ; où un enfant en difficulté d’apprentissage est perçu comme un paresseux ou un capricieux, ce qui le prive d’un plan d’intervention ; où les méthodes d’enseignement réfutent la pédagogie par projets, raillée même dans les corridors de l’école par ceux qui ne la pratiquent pas, lui préférant le ronron traditionnel de la classe magistrale et des cahiers d’exercices ; où les enseignants n’encouragent pas la communication orale dans des groupes de nouveaux arrivants où, pourtant, la pratique du français en classe est essentielle ; où les ressources complémentaires si cruciales pour soutenir un enfant en difficulté n’ont pas accès à la classe, parfois, car on ne croit pas du tout à l’importance du service, parfois parce qu’un enseignant masculin rechigne à faire entrer dans le sanctuaire de sa classe une femme professionnelle venant remuer ses valeurs et son honneur ; où certains enseignements, comme la science ou l’éducation à la sexualité, passent à la trappe, car ils ne sont pas considérés comme essentiels ; où la gestion de classe est parfois basée sur la répression et l’humiliation des enfants ; où les fillettes ont dû batailler pour jouer au soccer, un sport réservé aux garçons ; où, sous prétexte que les enseignants ne croyaient pas à la surveillance d’une cour d’école, des enfants ont disparu du périmètre de l’école.

Vous n’y croyez pas ? C’est bel et bien, pourtant, ce qui est déjà survenu à l’école Bedford, où on assure que des changements ont été depuis apportés. Les conclusions du ministère de l’Éducation, lequel, apparemment, aurait dans sa ligne de mire trois autres écoles, sont accablantes : les enseignants n’ont pas un niveau de compétences suffisamment élevé, il n’est pas garanti que les enfants y reçoivent un enseignement dans un contexte sécuritaire et plusieurs membres du personnel résistent de toutes les manières aux tentatives de la direction de les soutenir, de les former et de les évaluer, et ce, avec le concours éhonté du syndicat.

Une fois le choc de la lecture du rapport passé, ce qui frappe est l’impuissance de l’appareil éducatif à redresser la situation. Le taux de roulement du personnel de direction dans cette école est effarant, ce qui témoigne de l’incapacité à changer une culture de domination culturelle surpassant tous les principes pourtant énoncés par la Loi sur l’instruction publique (LIP). Cette phrase heurte : « Aucune conséquence n’est prévue à la LIP pour l’enseignant qui ne respecte pas ses obligations. » Quel aveu d’impuissance, auquel le ministère doit s’attarder !

De quels moyens dispose une direction d’école pour évaluer son personnel ? De l’observation en classe, d’abord et avant tout, mais à Bedford, cette méthode était re-fu-sée par certains enseignants, qu’on a même vus masquer portes et fenêtres pour ne pas que leur classe soit visible. D’une évaluation des compétences, dont on dit qu’à Bedford la moitié des enseignants n’en avaient pas. De mesures disciplinaires, si l’insubordination ou des problèmes d’attitude se pointent, mais lorsque c’est arrivé à Bedford, un groupe de 11 enseignants a encerclé le directeur pour lire une lettre exigeant le retrait de la mesure imposée à un collègue, une forme d’intimidation inacceptable. Et de supervision pédagogique, mais cette opération à Bedford a été dans certains cas repoussée par les représentants syndicaux, qui en ont invoqué le caractère inutile et absurde.

Si c’est, comme on l’a dit, l’argument de « l’autonomie professionnelle » qui a permis au clan rigide de cette école d’imposer ses diktats, alors celle-ci s’est exercée en total irrespect des droits des autres, à commencer par ceux des enfants. Ce sont eux qui sont les premières victimes de cette situation catastrophique.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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