Agir sur trois fronts à l’école Bedford

À la suite de l’épouvantable scandale de l’école primaire Bedford, dans Côte-des-Neiges, affublée de tous les maux, le débat sur la laïcité est reparti de plus belle à l’Assemblée nationale. Avant de conclure qu’un renforcement de la Loi sur la laïcité de l’État s’impose, les élus seraient avisés de prendre un pas de recul et de poser un diagnostic lucide sur les dérives qui ont compromis tant le projet pédagogique de cette école que le bien-être des enfants et du personnel.

Les problèmes de l’école Bedford, une école publique, offrent un condensé des dérives du réseau scolaire québécois. Ils envoient aussi un strident signal d’alarme que nous ne pouvons ignorer, puisque quatre autres écoles de la région montréalaise font maintenant l’objet de vérifications de la part du ministère de l’Éducation pour des dérives analogues.

En somme, un clan dominant d’enseignants d’origine maghrébine — opposé à un autre groupe de la même appartenance — a pris sur lui d’adapter ou d’ignorer des pans du programme pédagogique pour lui insuffler des valeurs à mi-chemin entre le conservatisme culturel et le prosélytisme religieux au nom de l’islam. Le rapport ne va pas aussi loin, mais il est compris et analysé comme tel dans l’espace public.

Tout y est : le harcèlement, l’intimidation, la violation de la Loi sur la laïcité de l’État, le déni d’assistance et l’humiliation des élèves éprouvant des difficultés d’apprentissage, le refus du français comme langue d’usage, l’iniquité de traitement entre les hommes et les femmes, la démission des enseignants qui ne voulaient pas manger de ce pain-là, l’incurie administrative grâce à laquelle le climat a pourri pendant sept ans, l’incapacité de la direction ou du Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) de venir à bout du problème, les limites de la Loi sur l’instruction publique, la mollesse crasse des instances syndicales, qui n’ont pas su agir dans l’intérêt des enfants, l’incompétence abyssale des enseignants embauchés dans un contexte de pénurie de main-d’oeuvre en éducation qui ne disparaîtra pas de sitôt…

Est-ce vraiment une affaire de laïcité ? La réponse est… complexe. Il y a là en même temps l’expression d’un refus et d’une acceptation du vivre-ensemble : n’oublions pas que le litige oppose des enseignants issus du même creuset. L’école Bedford, c’est plutôt la symbiose parfaite du déni de la laïcité, de la faiblesse dans la gouvernance scolaire et de l’incompétence pédagogique.

Si l’État n’agit pas sur ces trois fronts en simultané, il risque d’instrumentaliser la laïcité pour faire des gains politiques à court terme, en balayant sous le tapis l’impérieuse nécessité d’assainir la gouvernance scolaire et de se doter d’une Loi sur l’instruction publique permettant d’agir sur l’incompétence des enseignants avec plus de célérité. Le rapport d’enquête du ministère de l’Éducation sur l’école Bedford, qui a mené à la suspension du droit d’enseigner de 11 professeurs, est on ne peut plus clair à ce sujet : « aucune conséquence n’est prévue à la [Loi sur l’instruction publique] pour l’enseignant qui ne respecte pas ses obligations ».

Aujourd’hui, le conservatisme musulman est montré du doigt à l’école Bedford. Demain, ce sera le messianisme judaïque ou même le conspirationnisme fantaisiste, pourquoi pas ?

Nous ne pouvons prédire ce que la pénurie de professeurs et les difficultés de recrutement en éducation produiront comme canards boiteux devant la classe. Il y a pour ainsi dire urgence de passer outre la rigidité syndicale et la sacralisation de l’autonomie professionnelle pour faire en sorte que les enseignants ne puissent pas prendre de liberté avec le programme pédagogique, le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes et l’épanouissement des enfants. Il y a aussi des comptes à demander aux directions d’école et aux centres de services scolaires pour s’assurer du respect de leurs obligations dans des délais acceptables.

C’est à ces conditions que nous pourrons aborder l’enjeu de la laïcité, un élément parmi d’autres de cette poudrière. La cohérence entre l’action et le discours sera la bienvenue. Dans la foulée de cette histoire, le Parti libéral du Québec a révisé sa position historique et se dit maintenant opposé au financement public des écoles à vocation religieuse, au nom de l’équité entre les hommes et les femmes. Selon une analyse faite par La Presse, 11 de ces écoles sont lourdement avantagées par l’État, recevant des subventions de 38 millions de dollars et bénéficiant d’avantages fiscaux directs et indirects totalisant 53 millions.

Le premier ministre François Legault a d’abord rejeté une motion à l’Assemblée nationale sur l’abolition du financement public des écoles privées religieuses. Le lendemain, il s’est dit prêt à en débattre de manière réfléchie. C’est la voie à suivre. La patience, le recul et la contribution de la société civile seront nécessaires pour faire en sorte que la neutralité religieuse et l’imputabilité trouvent leur pleine expression dans le système scolaire québécois.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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