Bye USA, bonjour Québec!

Dans le grand récit national protectionniste que s’affaire à écrire Donald Trump à coups de ratures et de bavures outrancières, les États-Unis n’ont plus d’amis. Ils ont en revanche beaucoup d’ennemis, de grands appétits et bien peu de patience. Nous avons reçu le mémo cinq sur cinq, Monsieur le Président.

Il est beau de nous voir s’agiter en chœur. À scruter les étiquettes pour mieux bouder les produits étasuniens. À dénicher les meilleures options locales dont on tient des listes qu’on s’échange avec l’air entendu des conspirateurs éclairés. À se désabonner des géants de l’écoute en ligne. À lire bleu, à écouter bleu, à voyager bleu, aussi.

Nous sommes heureux de mettre du sable dans l’engrenage de cette drôle de guerre commerciale. Il n’y a rien comme un ennemi commun pour se rabibocher. Il fallait voir nos élus surenchérir d’originalité à l’Assemblée nationale pour faire savoir au voisin qu’il a dépassé les bornes. Si, pour Donald Trump, « tarif » est devenu le plus beau mot du dictionnaire, « boycottage » est devenu le mot d’ordre de nos députés, tous partis confondus.

L’intention est louable, mais ne soyons pas naïfs. Si les boycottages sont bons pour le moral des troupes, leur portée sur l’ennemi reste limitée, en plus d’être difficiles à maintenir dans le temps. Ça, c’est quand ils ne se révèlent pas franchement dommageables pour des travailleurs d’ici si on les applique à l’aveuglette et sans discernement.

Si on veut arriver à départager le bon grain (canadien) de l’ivraie (américaine), il va falloir prendre acte du fait qu’ils poussent très souvent racines et feuille inextricablement enlacées. C’est dire l’immense chantier de transparence et d’efficacité qui s’impose en matière d’étiquetage et d’affichage. À Ottawa, à Québec, mais aussi chez les détaillants, les transformateurs ou les distributeurs.

Sans compter que le boycottage éclairé demande du temps, de l’organisation et de l’argent. Autant de luxes que nombre de Québécois (et d’entreprises) n’ont jamais eus ou n’ont plus, tant leur réserve a été mise à mal par l’inflation, des services publics sous tension et la crise de l’habitation.

Il y a une part de bien-pensance, sinon d’hypocrisie, à faire porter aux citoyens le fardeau de tenir les lignes de front. C’est un peu comme pour la lutte au réchauffement climatique. Chaque geste compte, bien sûr, mais si les entreprises et les gouvernements n’embarquent pas avec la même intensité, on finit tous par s’agiter en vain.

Dans le cas qui nous occupe, on peut se réjouir de la combativité retrouvée de François Legault. Le premier ministre a annoncé une « grande corvée » de transformation de l’économie québécoise et de diversification des marchés. On dit bravo, enfin, mais attention, le terrain est aussi glissant. La pandémie nous a appris que lorsque le ciel s’éclaircit, on s’empresse de remettre nos pantoufles, reléguant nos velléités réformatrices aux oubliettes.

Le plus dur sera de mener ce chantier à son terme, quoi qu’il advienne, car le statu quo est intenable.

La facilité nous a fait placer beaucoup trop de nos billes sur l’axe nord-sud. Il faut les réduire considérablement. Pour cela, il faut consolider l’axe est-ouest verrouillé par des barrières interprovinciales qui ont contribué à nourrir notre dépendance malsaine au voisin étasunien. Cultivons aussi avec plus d’intensité l’Accord économique et commercial global avec l’Union européenne. Soignons nos amitiés avec les pays membres du cercle de l’Arctique.

Et attelons-nous à faire une vraie autocritique. François Legault a eu des mots très durs à l’égard d’un Québec qu’il juge ankylosé par un « manque de productivité, la surréglementation, la bureaucratie et la taxation ». La comparaison avec les États-Unis place le Québec loin derrière. Il y a des leçons à tirer du miracle étasunien qui investit massivement dans ses entreprises et sa culture.

Tout sera dans la manière de se réapproprier et de bonifier nos forces vives pour en faire un commerce plus intelligent, mieux ciblé, prospère. Il faudra prendre soin, par exemple, de s’interroger sur le type de compétitivité que l’on souhaite mettre de l’avant. Le Québec tient à son filet social, à sa langue, à sa culture, mais aussi à un environnement sain et à des milieux de travail justes.

Or, certains des remèdes avec lequel M. Legault devra jongler auront des effets collatéraux sur ces domaines essentiels. Il faudra prendre le temps de les soupeser un à un. Déréglementer massivement, par exemple, risque de faire sauter des verrous qui protègent notre langue et notre environnement. Est-ce là le genre de sacrifices que nous sommes prêts à faire ?

À la vérité, un Québec sevré de sa dépendance délétère à son voisin devenu déloyal et imprévisible aura peu à gagner s’il tombe à son tour dans le piège d’une économie prédatrice comme celle qui réussit aux États-Unis. Ce système brille peut-être sur papier, mais dans le réel, il broie les rêves et plombe le quotidien de millions de personnes, et ce, dans une indifférence qui ne nous ressemble pas.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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