Intolérance, stupeur et consternation

C’est une histoire à faire hurler, sise aux frontières de nos espoirs d’intégration des immigrants et de la plate réalité du terrain, encore raviné par des poches d’intolérance et de discrimination. Les allégations de racisme au cégep et au CISSS de l’Abitibi-Témiscamingue, subi par des hommes et des femmes venus d’Afrique pour devenir infirmiers ici, ont tout pour ébranler le gouvernement Legault, lui qui doit dévoiler jeudi un projet de loi-cadre destiné à redéfinir le modèle québécois d’intégration des immigrants. Quelle ironie !

Il y a de ces hasards de calendrier qui font réfléchir. Le Devoir révélait mardi, sous la plume de sa journaliste Lisa-Marie Gervais, que des étudiants venus d’Afrique à l’invitation du gouvernement du Québec pour prêter main-forte en soins infirmiers avaient subi ce qui a toutes les allures du racisme. Dans un rapport obtenu par notre reporter et relatant les humiliations sévères infligées aux étudiants, ce passage ne peut que faire frémir : « Il paraît qu’en Afrique, vous êtes tous des animaux. C’est pour ça qu’au Rwanda, les gens se sont entretués. » Cette phrase indigne aurait été prononcée par une enseignante qui devait accompagner et former ces personnes, tous déjà des infirmiers dans leur pays natal.

L’origine de cette affaire compte pour beaucoup dans l’horreur qu’elle inspire. C’est dans le cadre d’un de ces programmes idylliques lancés par le Québec pour suppléer à une pénurie de main-d’œuvre au sein du personnel infirmier que ces étudiants ont foulé le sol québécois. Partis de leur continent africain avec une solide formation infirmière, ils étudiaient et subsistaient grâce à un programme du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) décliné en quatre phases, et visant à terme la formation aux normes du Québec de 1500 infirmiers francophones. Le tout dans le cadre du Plan d’action ministériel pour la reconnaissance des personnes immigrantes.

L’ensemble de l’œuvre bénéficie du soutien des ministères de la Santé et des Services sociaux et de l’Enseignement supérieur. Ces détails non négligeables viennent ajouter une couche d’opprobre à l’affaire : ce fiasco est survenu sous la gouverne d’autant d’instances responsables vantant les mérites de ce parfait entrecroisement de l’offre et de la demande.

Le drame des étudiants humiliés s’est joué à plusieurs chapitres. D’abord, il y a eu les insultes racistes et les actes de dénigrement venus d’enseignantes et de responsables, tant du cégep de l’Abitibi-Témiscamingue que du CISSS où les étudiants effectuaient des stages et du travail à temps partiel comme préposés aux bénéficiaires, le tout en totale conformité avec le programme gouvernemental. Ensuite, l’échec scolaire. Ce sont des taux d’échec anormalement élevés le printemps dernier qui ont sonné la première alarme, car ainsi recalés, les candidats ont vu le sol se dérober sous leurs pieds : perte instantanée de l’allocation versée par le MIFI, impossibilité de travailler, retrait de l’assurance médicale. Certains ont pu effectuer une reprise, d’autres, non. Une infirmière ayant soutenu les victimes en dénonçant le traitement subi a été congédiée du CIUSSS où elle travaillait.

Un consortium indépendant dépêché en Abitibi-Témiscamingue pour résorber la crise a témoigné dans un rapport accablant de la nature des opérations de dénigrement constantes subies par les étudiants. Mais, comble de l’injure, ledit rapport ne s’est pas rendu aux autorités concernées, comme si on avait voulu cacher l’inénarrable. Une demande d’accès à l’information et une démarche journalistique ont permis de découvrir de quel traitement « dégueulasse » — le mot du ministre responsable de la Lutte contre le racisme, Christopher Skeete, en réaction à notre reportage — les étudiants avaient été victimes.

Interrogé sur cet événement malheureux, le directeur à la formation continue du cégep, Julien Pierre Arsenault, a parlé d’une question de « perceptions ». Dans d’autres médias, mardi, il dénonçait avec plus de vigueur les allégations de racisme.

Tout cela survient alors que le ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Jean-François Roberge, doit dévoiler jeudi un projet de loi-cadre dictant les termes d’un nouveau modèle d’intégration au Québec. Le ministre, qui dénonce haut et fort toute forme de xénophobie ou de racisme comme celle transpirant de notre reportage, affirme que son intention n’est pas seulement de dicter les exigences attendues des nouveaux arrivants, mais de déterminer aussi quels sont les devoirs et responsabilités de la société d’accueil, au nom d’un « principe de réciprocité ».

Les récits racontant des manifestations claires de racisme systémique dans les univers de l’éducation et de la santé ont malheureusement été suffisamment nombreux pour qu’on s’en inquiète. Bien que ce gouvernement résiste encore à nommer ce racisme installé dans certaines de nos organisations, il devrait comprendre qu’en repoussant les évidences, il contribue en quelque sorte à gangrener les préjugés. C’est le premier signe d’une volonté d’intégration de façade.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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