«Il y a quelque chose de cassé» dans le modèle d’immigration, estime le ministre Roberge

En déposant un projet de loi-cadre pour redéfinir le modèle québécois d’intégration des nouveaux arrivants, le ministre Jean-François Roberge espère réparer un système d’immigration « cassé » qui menace de « ghettoïser » le Québec.
Mardi, le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) a ouvert la période des travaux parlementaires d’hiver en tablant sur le thème de l’identité. Comme il l’avait révélé lundi dans certains médias, le ministre de l’Immigration, Jean-François Roberge, a annoncé en mêlée de presse son intention de légiférer pour réécrire le « contrat social » de l’État québécois avec les personnes immigrantes.
Aux yeux de l’élu caquiste, il y a, à l’heure actuelle, « quelque chose de cassé » dans le modèle d’intégration québécois. « Le dernier rapport du commissaire à la langue française […] montrait que les enfants des nouveaux arrivants — donc, des gens qui sont nés au Québec — s’identifiaient moins au Québec que leurs parents, alors qu’eux débarquaient de l’avion », a-t-il déploré.
« Je pense qu’on ne définit pas […] clairement le contrat social, on ne l’a jamais énoncé. On ne peut pas reprocher aux gens de ne pas être au courant de quelque chose qu’on n’a pas clairement défini », a-t-il enchaîné.
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Éviter la « ghettoïsation » du Québec
Le ministre de l’Immigration, qui est aussi responsable de la Laïcité, de la Langue française et des Institutions démocratiques, entend déposer jeudi un projet de loi « de principes » pour « clarifier les règles du contrat social » entre le Québec et ses immigrants.
S’il ne souhaite pas trop s’avancer sur son contenu, il peut déjà dire que ce modèle s’éloignera nettement du modèle multiculturaliste canadien, tel que défini dès les années 1970 avec la première politique canadienne de multiculturalisme. Son objectif : éviter la « ghettoïsation » du Québec.
« Nous, on est une terre d’accueil, on demeure ouverts sur le monde, on va continuer d’accueillir des nouveaux arrivants », a soutenu M. Roberge en mêlée de presse à l’hôtel du Parlement. « On veut de la diversité sur le territoire québécois, mais on veut de la mixité. On ne veut pas que les gens vivent les uns aux côtés des autres. On pense que la ghettoïsation, ça dessert la cohésion sociale. »
Selon le ministre, la loi s’inspirera plutôt du modèle interculturaliste, que l’historien et sociologue Gérard Bouchard, connu entre autres pour avoir coprésidé la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles (la commission Bouchard-Taylor), avait défini dans un livre paru en 2012 comme « un régime de laïcité inclusive reposant sur cinq principes ou valeurs : autonomie réciproque de la religion et de l’État, neutralité de l’État en matière de religion, liberté de conscience des personnes, égalité entre les religions, protection des symboles patrimoniaux ».
La « loi-cadre » de M. Roberge, qui devra « s’articule[r] et se viv[re] » dans l’ensemble des ministères et des organisations du Québec, proposera quelque chose de « nouveau », a-t-il dit, prenant soin de préciser que la loi s’écrirait autour d’une « culture commune ». « C’est le temps de changer les choses », a dit le ministre.
Contradictoire, dit l’opposition
Pour le Parti libéral du Québec, « c’est bien facile » de déposer un projet de loi, mais encore faut-il que le gouvernement respecte les principes qu’il souhaite mettre en place.
« Quand on apprend 200 millions [en] coupures dans le système d’éducation pour apprendre la culture québécoise à des nouveaux arrivants, à des Autochtones également, quand on parle qu’il n’y a plus d’argent pour franciser les nouveaux immigrants, il a beau mettre ce qu’il veut dans sa loi, ce n’est pas comme ça qu’il va faire avancer le Québec, le français, puis la culture québécoise », a lancé mardi le chef libéral intérimaire, Marc Tanguay.
Selon La Presse canadienne, des mesures favorisant « l’intégration et la réussite des immigrants » ainsi que « la réussite éducative des Autochtones » ont temporairement été abolies afin que le réseau de l’éducation puisse réduire ses dépenses de 200 millions de dollars d’ici la fin de l’année financière. L’automne dernier, de nombreuses classes de francisation, destinées majoritairement aux immigrants, n’ont pas pu ouvrir faute de fonds.
« On coupe au même moment que Jean-François Roberge nous fait quasiment un séminaire sur c’est quoi le modèle d’intégration au Québec qu’on doit avoir. Ce gouvernement-là, par rapport aux immigrants, comme d’habitude, il parle des deux côtés de la bouche », a dénoncé la porte-parole de Québec solidaire Ruba Ghazal.
« Ça me fait beaucoup penser à la loi 96 [sur la réforme de la Charte de la langue française] », a renchéri le chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon. « C’est-à-dire que la loi 96, il y avait certains bons éléments dans la loi, mais nous, notre propos, c’était de dire : on le sait, et vous le savez, à la CAQ, que c’est un projet de loi nettement insuffisant pour renverser le déclin du français, notamment parce que vous avez perdu le contrôle sur la proportion d’allophones et de francophones qu’on reçoit. »