La course sans Coderre

Au Parti libéral du Québec (PLQ), on se gardera bien de tourner le fer dans la plaie, mais l’exclusion de Denis Coderre de la course à la chefferie constitue assurément un grand soulagement.

Le député de Pontiac, André Fortin, a qualifié de « presque symbolique » l’appui dont un candidat dispose au sein du caucus, mais il est néanmoins significatif que ni lui ni aucun de ses collègues ne se soient rangés derrière l’ancien maire de Montréal.

Il est vrai que l’annonce de la candidature de M. Coderre, précédée du faux suspense du pèlerinage à Compostelle, avait valu au PLQ une publicité dont il avait bien besoin, mais ses démêlés avec le fisc étaient devenus terriblement gênants. L’adage selon lequel il vaut mieux parler de quelqu’un en mal plutôt que de ne pas en parler a des limites.

Rien n’assure toutefois que les libéraux s’en sont débarrassés : Denis Coderre pourrait très bien décider de contester la décision du comité électoral et de déposer à nouveau sa candidature avant la date limite du 11 avril. Il a indiqué qu’il répliquerait à son exclusion « au moment opportun » et le passé a démontré que, à défaut d’avoir toujours le meilleur jugement, il peut se montrer remarquablement pugnace.

Avec ou (plus encore) sans M. Coderre, cette interminable course aura néanmoins le plus grand mal à capter l’intérêt de la population. Le premier débat entre les candidats n’aura lieu que le 27 avril, alors que le Canada tout entier sera vraisemblablement plongé dans une campagne électorale qui s’annonce féroce. Sans parler des surprises que nous réservera sans doute Donald Trump, dont l’imagination semble illimitée.

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D’ailleurs, peut-on encore parler d’une course ? Malgré le boulet fiscal qu’il traînait, M. Coderre demeurait bon deuxième — avec l’appui de 11 % des électeurs libéraux, selon le dernier sondage Léger — et personne ne sous-estimait ses talents d’organisateur. Son retrait laisse le champ pratiquement libre à Pablo Rodriguez (27 %), qui est loin devant l’avocat Marc Bélanger (9 %), étonnant second, et l’ancien p.-d.g. de la Fédération des chambres de commerce du Québec, Charles Milliard (6 %).

À défaut de suspense concernant l’issue de la course, on pouvait toujours espérer ce proverbial « débat d’idées » qui nous laisse la plupart du temps sur notre faim. La présence de M. Coderre y aurait certainement mis de la couleur et du piquant.

Il trouve inutile la rédaction d’une constitution québécoise, que le comité de relance du PLQ a pourtant présentée comme la huitième merveille du monde. Il propose également de maintenir la Loi sur la laïcité de l’État québécois, alors que la majorité des militants libéraux l’ont en horreur. Sans lui, le débat risque de verser dans une bien ennuyeuse rectitude.

Les adversaires de M. Rodriguez avaient cru avoir trouvé son talon d’Achille dans la gestion des finances publiques. Ils s’étaient donné le mot pour lui reprocher les dépenses irréfléchies du gouvernement Trudeau, dont il a fait partie pendant près de 10 ans. Alors que le déficit du Québec a atteint un record de 11 milliards de dollars, c’était à qui reviendrait le plus rapidement à l’équilibre budgétaire de se mettre en valeur. Il était savoureux de voir le député de Marguerite-Bourgeoys, Fred Beauchemin, qui était son plus virulent détracteur, se rallier à la candidature de M. Rodriguez en louant ses qualités de gestionnaire responsable.

La menace que M. Trump fait maintenant planer sur l’économie québécoise, dont le sauvetage et le redéploiement pourraient nécessiter l’intervention massive de l’État, a rendu cette discussion caduque. Certes, il ne faudrait pas répéter les abus auxquels la pandémie a donné lieu, mais le report du retour au déficit zéro semble désormais incontournable.

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M. Rodriguez s’est rabattu sur le spectre de la séparation, qu’il inscrit maintenant dans une perspective trumpienne. « Un référendum, par définition, amène de l’insécurité. Il n’y a rien qui ferait plus plaisir à Donald Trump que de nous savoir divisés », a-t-il déclaré dans une entrevue au Journal de Montréal.

Le soudain attachement au Canada que M. Trump a fait naître est tout à l’avantage de M. Rodriguez. Alors que plusieurs voyaient comme un handicap ses nombreuses années passées au sein du gouvernement Trudeau, il se félicite maintenant d’avoir fait partie de l’équipe qui a réussi à renégocier l’accord de libre-échange avec succès durant le premier mandat de M. Trump.

« Il y avait une approche pancanadienne. C’est toujours gagnant lorsqu’on s’unit pour faire face à un géant comme les États-Unis. » Cela s’adresse moins aux militants libéraux, qui en sont déjà convaincus, qu’à l’ensemble des Québécois, qui se rendront aux urnes dans une vingtaine de mois.

L’été dernier, plusieurs avaient attribué le soudain intérêt de M. Rodriguez pour la chefferie du PLQ aux difficultés du gouvernement Trudeau. Avec un retard de 20 points sur les conservateurs, le Parti libéral du Canada semblait destiné à une défaite cinglante et à un long séjour dans l’opposition. Aurait-il pris la même décision s’il avait pu prévoir le renversement auquel on assiste à Ottawa depuis l’entrée en scène de Mark Carney ?

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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