L’effet inattendu de Trump

Les résultats du dernier sondage Léger ont de quoi inquiéter le bureau du premier ministre Legault. Alors que la menace que le président américain, Donald Trump, fait peser sur l’économie québécoise aurait dû propulser la CAQ, celle-ci a plutôt perdu 3 points.

Le sondage a été effectué entre le 31 janvier et le 2 février, au moment où l’attente de l’imposition de tarifs de 25 % sur les exportations canadiennes provoquait une pointe d’anxiété qui frisait la panique.

Dans les moments de crise, la population a normalement le réflexe de se tourner vers le gouvernement, comme cela avait été le cas lors de la pandémie et comme cela semble être présentement le cas au fédéral. En 2020, les intentions de vote de la CAQ avaient aussi augmenté de façon significative dans les semaines qui avaient suivi le début de la pandémie.

Il est vrai que les tarifs douaniers ne sont pas encore en vigueur et qu’ils ne le seront peut-être jamais. Pour l’instant, il y a plus de peur que de mal, même si certaines entreprises ont déjà commencé à faire des mises à pied. Si la menace se concrétise au cours des prochaines semaines, le premier ministre québécois redeviendra peut-être une valeur refuge. Sinon, il devra s’interroger sérieusement sur son avenir.

Il y a une différence de taille avec la pandémie. Quand le virus de la COVID-19 est apparu au Québec, M. Legault était en poste depuis à peine seize mois, alors qu’il est maintenant là depuis six longues années, ce que même la crainte qu’inspire le matamore de la Maison-Blanche ne peut faire oublier d’un coup.

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Que les tarifs soient finalement imposés ou non, la population aura toujours besoin de services de santé et elle n’a perçu aucune amélioration malgré toutes les promesses faites en 2018. Même les inepties que M. Trump multiplie ne réussissent pas à empêcher les compressions imposées au réseau de faire quotidiennement la nouvelle.

Malgré le sursaut de fierté canadienne enregistré par un sondage Angus Reid et la baisse de l’appui à l’indépendance constatée par Léger, la stabilité des intentions de vote du Parti québécois indique que les Québécois voient toujours en lui la solution de remplacement au gouvernement Legault, quitte à voter « non » s’il persiste à tenir un référendum sur l’indépendance du Québec dans un premier mandat.

La progression de 5 points du Parti libéral du Québec (PLQ), le plus indiscutablement canadien des partis représentés à l’Assemblée nationale, est surtout le résultat d’un retour au bercail des électeurs non francophones. Elle est très modeste chez les francophones, dont l’appui passe de 7 % à 9 %. Cela demeure insuffisant pour permettre aux libéraux de sortir de leur ghetto.

Mark Carney ferait bondir les intentions de vote pour le Parti libéral du Canada de 9 points additionnels au Québec, selon Léger, mais il est cependant permis de croire que l’arrivée d’un nouveau chef aura aussi un effet tonique sur celles du PLQ.

De façon inattendue, la menace trumpiste pourrait ainsi contribuer à rétablir, aux dépens de la CAQ et de QS, l’hégémonie des deux partis qui avaient profité du débat sur la question nationale pour monopoliser l’espace politique québécois pendant près d’un demi-siècle, entre 1970 et 2018.

Ceux qui devaient incarner sa nouvelle configuration sur une base gauche-droite risquent maintenant la marginalisation. Les dernières projections du site Qc125 accordent 12 sièges à la CAQ et 6 à QS, alors que le Parti conservateur d’Éric Duhaime pourrait en remporter 9.

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Le regain d’affection des Québécois pour le Canada se manifeste surtout sur la scène fédérale, où il a cependant un caractère plus utilitaire que sentimental. Ils n’ont pas grand-chose à reprocher au Bloc québécois, sinon d’être dans l’incapacité de prendre le pouvoir à un moment où il ne s’agit plus de protester, mais d’agir.

Maintenant que le Canada est perçu comme un allié plutôt que comme un adversaire, le Bloc apparaît moins utile, même s’il faudra bien que quelqu’un à Ottawa veille à ce que les intérêts du Québec soient pris en compte dans les négociations à venir avec les États-Unis.

Yves-François Blanchet a voulu minimiser la baisse de 6 points (9 points chez les francophones) de son parti depuis décembre. La panique déclenchée par M. Trump a déclenché un réflexe normal, mais rien n’assure que le soudain engouement pour Mark Carney se maintiendra jusqu’à la prochaine élection, dit-il.

Il y a à peine deux semaines, le chef du Bloc semblait avoir de bonnes chances de s’installer à Stornoway, la résidence officielle du chef de l’opposition à Ottawa. La première des trois périodes de la partie qui doit conduire le Québec à l’indépendance semblait être dans la poche. Elle s’annonce maintenant aussi difficile que les deux autres.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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