«The Breakfast Club»: l’emblématique film d’ados a 40 ans

Judd Nelson, Emilio Estevez, Ally Sheedy, Molly Ringwald et Anthony Michael Hall dans le film «The Breakfast Club»
Photo: Universal Pictures Home Entertainment Judd Nelson, Emilio Estevez, Ally Sheedy, Molly Ringwald et Anthony Michael Hall dans le film «The Breakfast Club»

La série A posteriori le cinéma se veut une occasion de célébrer le 7e art en revisitant des titres phares qui fêtent d’importants anniversaires.

Par un samedi gris, cinq adolescents passent la journée en retenue à l’école. Ces compagnons d’infortune se connaissent de vue, mais ne se fréquentent pas, chacun appartenant à sa clique. Confinement forcé aidant, l’animosité laissera graduellement place à la curiosité, puis à l’amitié, voire à l’amour. Or, plus que leurs camarades, c’est surtout eux-mêmes qu’apprendront à connaître ces jeunes gens.

Sorti en février 1985, The Breakfast Club (Breakfast Club), de John Hughes, permit à une génération alors peu représentée au cinéma de se sentir enfin vue. Si ce classique du cinéma américain a pris quelques rides en 40 ans, il n’en reste pas moins éminement attachant et influent.

Sartre l’a écrit : l’enfer, c’est les autres. Cet adage paraît se vérifier (avant d’être ultimement contredit) au commencement de Breakfast Club. Comme on le résumait dans Le Devoir en 2020 : « À partir d’archétypes explicitement désignés comme tels — la princesse (Claire : Molly Ringwald), la « rejet » (Allison : Ally Sheedy), le nerd (Brian : Anthony Michael Hall), le sportif (Andrew : Emilio Estevez), le délinquant (John : Judd Nelson) —, le scénario déconstruit les a priori que les personnages (et le public) entretiennent par rapport aux autres et à eux-mêmes. »

Ces archétypes représentent en l’occurrence la dimension foncièrement contradictoire de l’adolescence, période de l’existence durant laquelle on cherche tout à la fois à se distinguer afin de trouver son identité, et à se conformer afin d’être accepté.

Fait intéressant : sur l’affiche devenue iconique, les personnages posent en un groupe serré, soudé. À noter que c’est là l’œuvre de la légendaire photographe Annie Leibovitz. Autre élément inoubliable : la sélection musicale, dont le tube Don’t You (Forget About Me), de Simple Minds.

Respect et sérieux

Certes, le scénariste, réalisateur et producteur John Hughes n’est pas l’inventeur du cinéma adolescent, mais il fut le premier, à Hollywood, à aborder l’adolescence avec respect et sérieux, sans verser dans le tragique (Rebel Without a Cause / La fureur de vivre), la nostalgie (American Graffiti / Graffiti américain ; Grease / Brillantine), ou l’exploitation libidineuse (Porky’s / Chez Porky et ses ersatz).

Comme l’explique Ally Sheedy à Roger Ebert lorsque le critique visite le plateau en 1984 : « Regardez ce qui est absent de ce film. Pas de bal de fin d’année. Pas de scène de poursuite. Pas de scène de nudité dans une douche. Pas de beuverie. Pas de bagarre. C’est sur des jeunes qui en apprennent davantage sur eux-mêmes. Ça s’apparente à une pièce de théâtre. C’est le rêve de tout acteur. Et c’est un film ambitieux. »

De fait, la première réalisation de John Hughes, Pretty in Pink (Rose bonbon), qui connaîtrait un énorme succès, n’étant pas encore sortie, le studio était nerveux à l’idée de financer un huis clos scolaire. Aussi n’alloua-t-on qu’un maigre budget d’un million de dollars à The Breakfast Club. Après trois semaines de répétitions, Hughes et son équipe investirent une école secondaire désaffectée de Des Plaines, en Illinois — la même où le réalisateur tourna concurremment le tout aussi populaire Ferris Bueller’s Day Off (La Folle Journée de Ferris Bueller).

De poursuivre Sheedy : « Dans beaucoup de films destinés aux adolescents, on a l’impression que les réalisateurs se remémorent leur propre jeunesse. Ce film est à propos d’ici et maintenant. »

« On les avait oubliés »

Paradoxalement, ce sont ces qualités vantées par Ally Sheedy qui valurent à John Hughes de l’opposition en haut lieu. En entrevue au magazine Premiere, en 1999, Hughes se souvient : « Les cadres du studio m’ont dit : « Les jeunes ne voudront pas rester assis devant ça : il n’y a pas d’action, pas de fête, pas de nudité ». »

Ce point, en particulier, était si litigieux, que John Hughes ajouta une scène où le directeur de l’école épie une enseignante qui se baigne nue. À la suggestion de Molly Ringwald cependant, Hugues la retira du scénario final.

« Ce que ces cadres avaient oublié, c’est qu’à cet âge, il est souvent tout aussi agréable de se sentir mal que de se sentir bien », relève encore le cinéaste dans Premiere, réitérant la nature contradictoire de l’adolescence.

Plus spécifiquement, Hughes fait allusion au côté « thérapie de groupe » du film, alors que les personnages se livrent dans toute leur vulnérabilité, des véritables motifs de leur retenue à leurs problèmes d’acceptation de soi, en passant par leurs relations conflictuelles avec leurs parents.

Concernant ce sous-thème précis, la séquence d’ouverture montre avec une brillante économie l’incommunicabilité, la pression, l’indifférence ou encore l’absence qui règne au sein des différents foyers.

Toujours à Premiere, Hughes relate : « Je connaissais ces jeunes. Ma femme et moi avions dix ans de moins que tous les autres parents de notre quartier, j’ai donc été entouré d’adolescents jusqu’à mes 27 ans. J’ai vu combien leur vie à 14 et 15 ans était différente de la mienne au même âge. Ma génération avait accaparé tellement d’attention, et voilà que ces jeunes se battaient pour leur identité. On les avait oubliés. »

Citant ce passage de l’entrevue de Hughes, David Kemp écrit dans un essai pour Criterion : « The Breakfast Club était donc autant une mission qu’un film. Il s’agissait […] d’une représentation cinématographique de ce que Hughes observait dans la vraie vie, mais ne voyait pas sur le grand écran. Il emprunta par exemple l’expression qui devint le titre du film au fils adolescent d’un ami. »

Kemp ajoute : « C’est cette sensibilité à la réalité adolescente qui permit à The Breakfast Club de prendre le public aux tripes… »

L’âme des jeunes

Parmi les « rides » évoquées, ou éléments ayant mal vieilli, il est impossible d’ignorer le sexisme présent dans le film — un défaut presque inhérent au cinéma hollywoodien d’alors. Autres temps…

Dans un essai écrit pour The New Yorker en 2018, Molly Ringwald, révélée dans Pretty in Pink, réfléchit à la question. Tout en se déclarant fière de Breakfast Club, l’actrice remarque : « John [Judd Nelson] harcèle sexuellement Claire tout au long du film. Lorsqu’il ne la sexualise pas, il s’en prend à elle avec un mépris vicieux […] C’est le rejet qui inspire son amertume… Il ne s’excuse de rien de tout cela, mais, néanmoins, il finit par avoir la fille. »

Plus loin, Ringwald nuance : « Effacer l’histoire est une voie dangereuse lorsqu’il s’agit d’art — le changement est essentiel, mais il est tout aussi important de se souvenir du passé, dans toutes ses transgressions et sa barbarie, afin que nous puissions mesurer correctement le chemin parcouru, ainsi que le chemin qu’il nous reste à parcourir. »

On regrette en outre cette scène où Claire « transforme » Allison, qui renonce à son look gothique au profit d’une allure proprette. Pour autant, ce passage donne lieu à un bel échange. Allison : « Pourquoi t’es si gentille avec moi ? » Claire : « Parce que tu me le permets. »

Dans son ouvrage consacré à John Hughes You Couldn’t Ignore me if You Tried, Susannah Gore conclut au sujet de Breakfast Club : « Ce film est l’un d’une poignée de titres phares des années 1980 à avoir brisé les règles des films pour adolescents, mis l’âme des jeunes à nue, et touché une génération d’une manière que l’on n’aurait jamais crue possible. »

Bref, le legs de Breakfast Club est à l’image de l’adolescence : lumineux et sombre, exalté et triste, simple et compliqué… En somme, pétri de contradictions.

Le film The Breakfast Club est disponible en VSD sur la plupart des plateformes

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