Le huis clos, ce confinement révélateur

En ces temps de confinement, s’il est un type de films au diapason du moment, c’est le huis clos. Avec son minimalisme anxiogène, le huis clos peut aussi bien servir à illustrer, au premier degré, l’enfermement d’un personnage, qu’à évoquer, au second, un sentiment d’isolement psychologique. En l’occurrence, le huis clos n’a pas son pareil pour mettre au jour les failles et les beautés de ses protagonistes. Retour non exhaustif sur quelques morceaux choisis.
Un des exemples le plus souvent cités en la matière est 12 hommes en colère (12 Angry Men ; 1957), de Sidney Lumet. Un jury disparate de douze messieurs, des valeurs parfois opposées, une salle surchauffée : ce n’est qu’une question de temps avant que le proverbial couvercle saute. Ici, les délibérations servent surtout à révéler l’humanisme du juré 8 (Henry Fonda), ainsi que les motifs réels de la hargne du juré 3 (Lee J. Cobb).
À noter que le scénario de Reginald Rose engendra une pièce (1955). D’ailleurs, de par la nature de certaines de ses conventions, comme l’unité de lieu, le théâtre constitue un terreau fertile pour le huis clos cinématographique.
Par exemple, dans 8 femmes (2002), basé sur une pièce de Robert Thomas, François Ozon non seulement ne cherche-t-il pas à faire oublier les origines scéniques de l’intrigue : il les exacerbe au moyen d’artifices volontairement désuets. Grand-mère (Danielle Darrieux), mère (Catherine Deneuve), filles (Virginie Ledoyen, Ludivine Sagnier), tante (Isabelle Huppert), belle-sœur (Fanny Ardant), cuisinière (Firmine Richard) et bonne (Emmanuelle Béart) se retrouvent coincées dans un manoir de carton-pâte, avec le cadavre du patriarche à l’étage. Laquelle d’entre elles a fait le coup dans cette farce kitsch ? À nouveau, ce sont les variantes de « pourquoi » qui donnent sa saveur à ce bonbon acidulé.
Comme dans le film précédent, la comédie se colore de mélancolie dans Un air de famille (1996), de Cédric Klapisch, tiré de la pièce d’Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri. Dans le bistro de l’aîné bourru (Bacri) affluent la mère (Claire Maurier), qui n’en a que pour le benjamin parvenu (Wladimir Yordanoff), flanqué de l’épouse qu’il traite en potiche (Catherine Frot), et la cadette rebelle (Jaoui). Derrière le comptoir, le barman devient le témoin d’une drôle quoique cinglante séance de lavage de linge sale.
Quoiqu’au rayon du déballage de griefs, il est impossible de faire mieux (ou pire) que Martha (Elizabeth Taylor) et George (Richard Burton) dans Qui a peur de Virginia Woolf ? (Who’s Afraid of Virginia Woolf ? ; 1966), de Mike Nichols, d’après la pièce d’Edward Albee. Les époux querelleurs sont déjà pompettes lorsqu’ils rentrent à la maison en compagnie d’un jeune couple après une fête dans un campus. Entre règlements de comptes stridents et détresse psychologique, les masques soigneusement maintenus au fil des années finissent par tomber.
Autre dissolution de couple dans Le dîner de cons (1998), de Francis Veber, d’après sa propre pièce, en sous-intrigue celle-là, la trame principale s’attardant aux déboires d’un riche éditeur (Thierry Lhermitte) qui, en voulant se moquer d’un petit fonctionnaire (Jacques Villeret) dont il juge la passion pour le modèle réduit en allumettes propice au repas du titre, devient lui-même le dindon de la farce.
Face aux autres
L’un des meilleurs huis clos du cinéma, tous genres et origines confondus, n’est en revanche pas basé sur une pièce, mais librement adapté d’un roman : À table !, ou Brainwash, de John Wainwright. Le film ? Garde à vue (1981), de Claude Miller, où s’affrontent Lino Ventura, en commissaire de police soupçonneux, et Michel Serrault, en notaire propret qui a peut-être violé et étranglé une fillette. Dans le bureau du premier, la tension monte entre les deux hommes qui sont poussés, chacun à leur manière, jusque dans leurs derniers retranchements (psychologiques, éthiques). La vérité éclatera, et ni l’un ni l’autre n’en sortira indemne (à voir gratuitement sur le site de TFO).
Agent révélateur par excellence, le huis clos est idéal pour les récits de survie. On pense au romancier Paul Sheldon (James Caan) séquestré par sa plus fervente admiratrice (Kathy Bates) dans Misery (1990), d’après le roman de Stephen King. Pour demeurer chez King, on peut aisément qualifier Shining (The Shining ; 1980), de Stanley Kubrick, de huis clos. Tenus de passer l’hiver dans un hôtel de montagne, la mère (Shelley Duvall) et le fils (Danny Lloyd) trouvent dans l’alcoolisme du père (Jack Nicholson) un monstre plus redoutable que les fantômes qui hantent les lieux.
Encore une mère (Jodie Foster) et sa progéniture (Kristen Stewart) qui ne peuvent compter que sur elles-mêmes dans Chambre forte (Panic Room ; 2002), de David Fincher, où la pièce éponyme devient un refuge contre des braqueurs.
Et tant qu’on y est, il y a La chose (The Thing ; 1982), de John Carpenter, où les membres d’une station de recherche américaine en Antarctique sont décimés par une entité extraterrestre polymorphe. Tandis que les survivants oscillent entre la solidarité et le chacun-pour-soi (les deux attitudes s’affrontant en période de crise), le misanthrope MacReady (Kurt Russell) ne se berce d’aucune illusion : comme l’écrivait Jean-Paul Sartre dans sa pièce Huis clos, « l’enfer, c’est les autres ».
Face à soi-même
Un adage qui semble se vérifier au début du désormais classique Breakfast Club (1985), de John Hughes, pape du cinéma adolescent des années 1980. À partir d’archétypes explicitement désignés comme tels — la princesse (Molly Ringwald), la rejet (Ally Sheedy), le nerd (Anthony Michael Hall), le sportif (Emilio Estevez), le délinquant (Judd Nelson) —, le scénario déconstruit les a priori que les personnages (et le public) entretiennent par rapport aux autres et à eux-mêmes. Mais l’enfer peut aussi être en soi, comme le prouve Répulsion où Catherine Deneuve, cloîtrée dans son appartement, sombre dans la folie (le tiers de la filmographie du cinéaste relève du huis clos).
L’enfer peut également être le voisin, pour paraphraser, et comme a l’occasion de s’en apercevoir le héros de Fenêtre sur cour (Rear Window ; 1954). Dans ce chef-d’œuvre d’Alfred Hitchcock, un photographe cloué à un fauteuil roulant (James Stewart) qui espionne ses voisins en vient à soupçonner l’un d’eux de meurtre. Ici, ladite cour percée de fenêtres devient métaphore de l’écran de cinéma où sont projetées maintes histoires.
Celle que raconte Michael Haneke dans Amour (2012) est particulièrement poignante. On y prend la mesure de l’attachement d’un octogénaire (Jean-Louis Trintignant) pour sa conjointe victime d’un AVC (Emmanuelle Riva) après qu’elle lui eut fait promettre de ne pas la renvoyer à l’hôpital. Un film aussi dévastateur que magnifique, et qui ramène en mémoire cette autre réplique de la pièce de Sartre :
« On meurt toujours trop tôt — ou trop tard. Et cependant la vie est là, terminée ; le trait est tiré, il faut faire la somme. Tu n’es rien d’autre que ta vie. »
À terme, n’est-ce pas à cette réalité inéluctable qu’en viennent à être confrontés les protagonistes d’un huis clos ? Car s’il est une chose à laquelle le confinement est propice, c’est l’introspection. Le résultat sera positif ou négatif, selon le personnage et la teneur de ladite somme. Et si d’aventure, et puisque la situation actuelle s’y prête comme jamais, le cinéphile se prêtait au jeu ? Une occasion d’effectuer de salutaires changements, tandis que le trait n’est pas encore tiré…
Note : la plupart des titres sont disponibles en VSD sur iTunes et YouTube.
Huis clos en mouvement
De par leur conception, le train et l’avion offrent un cadre tout désigné pour le thriller en huis clos : prisonnier de l’habitacle et du mouvement, personne ne peut s’échapper.Une femme disparaît (The Lady Vanishes ; 1938), d’Alfred Hitchcock : à bord d’un train, une jeune femme insiste pour dire qu’une vieille dame s’est volatilisée, mais nul ne la croit.
Le crime de l’Orient-Express (Murder on the Orient-Express ; 1974), de Sidney Lumet : un train bloqué par la neige, un cadavre, douze suspects, et Hercule Poirot qui enquête ; d’après Agatha Christie.
Transperceneige (Snowpiercer ; 2013), de Bong Joon-ho : dans un super-train postapocalyptique, les pauvres vivent dans le wagon de queue et le riche créateur, dans celui de tête.
Plan de vol (Flightplan ; 2005), de Robert Schwendtke : dans un avion qu’elle a conçu, une femme cherche sa fille disparue alors que tous semblent douter de l’existence de l’enfant (le spectre d’Hitchcock plane).