Négligence culturelle et américanisation tranquille du Québec

La menace qui pèse sur ce que nous sommes et sur ce que nous chérissons ne disparaîtra pas au fil des prochaines décennies, fait valoir l’auteur.
Photo: Robert Dupuis Getty Images La menace qui pèse sur ce que nous sommes et sur ce que nous chérissons ne disparaîtra pas au fil des prochaines décennies, fait valoir l’auteur.

Mardi, le premier ministre annonçait une grande corvée nationale afin de résister aux menaces économiques des États-Unis. Ce rassemblement des forces vives de la nation, qui se penchera vraisemblablement sur des questions de pérennité économique, est nécessaire, et la solidarité dont vous, élus de l’Assemblée nationale, faites preuve dans les circonstances est plus que bienvenue. Cette réflexion nationale ne devrait cependant pas négliger l’un des aspects fondamentaux de la crise actuelle qui rejoint les revendications primordiales du Front commun pour les arts : la culture.

À quoi bon lutter pour notre survie économique et pour le maintien de nos institutions si c’est en poursuivant, d’un même souffle, la politique de négligence culturelle qui prévaut au Québec depuis au moins 40 ans ? Cette politique, qui combine pensée magique et loi du moindre effort, fait de nous notre pire ennemi en matière culturelle ; elle contribue à notre dissolution silencieuse dans les flots d’une américanisation qui se moque bien des changements de présidence et de la frontière.

La culture américaine et ses valeurs, les bonnes comme les mauvaises, circulent sans ambages et nous n’y pouvons pas grand-chose (serait-ce même souhaitable de l’empêcher ?), mais la dissolution dont je parle est principalement due à la négligence des gouvernements successifs à l’égard de la culture, qui est vue comme une dépense forcée (parce qu’il faut bien donner l’impression de faire quelque chose pour les arts), mais bien encombrante, quand elle n’est pas outrancièrement confondue avec la culture de l’amphithéâtre ou de l’entrepreneuriat. C’est bien pour cela que le premier réflexe d’austérité des gouvernements est de sabrer le budget du Conseil des arts et des lettres du Québec.

La question économique est centrale dans la situation géopolitique actuelle, l’idée n’est pas de la diminuer. Mais l’existence d’un peuple (et de l’être humain, si l’on considère les propos de Nancy Huston dans son essai L’espèce fabulatrice) et le sens collectif qui l’anime ne se résument pas au coût du pain tranché. Ce sens repose sur les histoires auxquelles nous sommes exposés durant l’enfance, sur ce qu’on lit ensuite, sur ce qu’on voit au cinéma, au théâtre ou sur nos écrans, sur ce que l’on écoute à la radio ou en balado. Sur ces mille et une fictions collectives qui, tissées par les artistes, donnent au mot « québécois » son sens propre.

Les retombées économiques des investissements en culture ne sont plus à démontrer, quoi qu’en disent certains grognons. Ces investissements rapportent aussi un autre genre de profit, qu’il est plus que temps de considérer sérieusement : un profit symbolique, celui-là même qui constitue la colonne vertébrale de toute nation. Un profit qui donne l’envie et la raison de se battre lorsque l’on est attaqué. En clair : une identité forte.

Je vous demande, chers élus, de considérer avec sérieux l’importance capitale de la culture dans ce combat qui s’amorce et qui est beaucoup plus large que la seule résilience économique du Québec. Depuis toujours, nous sommes menacés dans notre existence même. Ce n’est jamais grâce à notre puissance économique ou militaire que nous avons survécu ; c’est parce que nous écrivons, que nous chantons, que nous dessinons obstinément nos rivières et nos forêts, nos misères et nos joies, nos langues et nos rêves, nos exils et nos aspirations. La menace qui pèse sur ce que nous sommes et sur ce que nous chérissons ne disparaîtra pas au fil des prochaines décennies, bien au contraire. Il faut dès à présent retrouver le réflexe de la culture — le réflexe de la résistance.

Chers élus, donnez-nous les moyens de demeurer québécois.

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