Pleins feux sur la réussite
Le gouvernement du Québec est en chasse pour un autre top gun, celui-là pour tenir les rênes de l’Institut national d’excellence en éducation (INEE). Dans l’absolu, la création de cet institut consacré exclusivement à la réussite des élèves est une excellente nouvelle. Pour livrer toutefois les résultats très attendus, cet organisme devra pouvoir agir en toute indépendance, et loin du tapage des différents cercles de l’éducation, déjà actifs sur le terrain de la discorde.
Le premier défi du ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, consiste à trouver une figure crédible, sage et indépendante, qui sera rassembleuse dans un univers où les confrontations scientifiques sont malheureusement légion. Les données probantes, qui sont au cœur de la création de l’INEE par le ministre Drainville, sont des résultats obtenus grâce à des processus scientifiques rigoureux. En éducation, l’objectif est de fonder la pratique sur les meilleures preuves scientifiques plutôt que d’y aller par intuition, tâtonnement, ou pire encore, aveuglement.
La médecine est reine dans le champ des données probantes, et rien n’indique que l’INEE, qu’on compare souvent dans sa forme à l’INESSS (Institut national d’excellence en santé et services sociaux), ne puisse réussir là où son pendant santé excelle. Éclaireur dans le champ des meilleures pratiques, conscience du ministère pour la prise de décisions, guide pour les enseignants à la recherche de résultats sur lesquels forger leur pratique, l’INEE arrivera à un moment crucial dans le champ de l’éducation au Québec, alors que la réussite scolaire demeure un sujet de préoccupation important.
D’autres nations ont emprunté cette voie, comme l’exemplaire Finlande, qui a lancé son Institut finnois pour la recherche en éducation en 1968. Là-bas, le ministère base ses décisions et ses programmes sur les enseignements prodigués par cet organisme réputé, qui publie cinq fois par année le bulletin Kasvatus destiné aux adeptes de l’avancement des sciences et pratiques en éducation. Son dernier numéro faisait le point sur trente ans de politique d’inclusion à l’école, un sujet qui pourrait fort bien passionner les futurs membres de l’INEE.
Mais l’INEE n’a pas encore trouvé son maître à penser que déjà, dans les gradins des sciences de l’éducation, on chipote sur les vertus et défauts de cet institut à créer.
Le monde de l’éducation est un univers de chapelles qui se querellent souvent sur des principes parfois bien éloignés des préoccupations de l’univers terrain de l’école : le terrain des élèves, des parents, des enseignants. Ces guerres stériles ne seront d’aucun secours au ministère de l’Éducation, s’il tient sincèrement à bâtir ses pratiques du futur sur ce que les preuves scientifiques ont de mieux à lui enseigner. La personne qui sera choisie pour diriger l’INEE donnera une impulsion cruciale en ce sens.
Le principal défi qui attend cet institut concerne les fondements de la réussite scolaire. Après un cycle marqué par la pandémie et ses pratiques en dents de scie, on conclut aujourd’hui que des enfants ont pris du retard qu’ils peinent à récupérer. En éducation, même les vacances estivales ont des effets sur des élèves en difficulté, car plusieurs apprentissages sont à refaire à la rentrée. Même des étudiants des cycles supérieurs traînent comme un boulet des reculs accumulés pendant leur parcours scolaire.
L’INEE devra donc ausculter avec transparence, courage et lucidité les pratiques québécoises, pour voir desquelles il faut s’inspirer et lesquelles il faut au contraire remiser. Le dossier de l’inclusion et celui de l’adaptation scolaire, avec le problème apparemment insoluble du soutien aux élèves en difficulté, seront certainement prioritaires. Il faudra avoir la bravoure de s’interroger sur les limites de notre politique d’adaptation scolaire à tout prix, qui a besoin d’une sérieuse révision. Les syndicats d’enseignants n’aiment pas particulièrement qu’on en parle, mais les dossiers cruciaux de formation initiale des maîtres et de formation continue ne peuvent pas non plus être écartés de la réflexion, car c’est le nerf de la guerre, particulièrement en période de pénurie.
Le Québec s’est aussi donné un objectif ambitieux à atteindre : que 90 % des élèves de moins de 20 ans obtiennent un premier diplôme ou une première qualification d’ici 2030. Les taux de diplomation se calculent désormais avec le concours de certains « élastiques » qui leur donnent peut-être meilleure allure que si on visait seulement les données les plus brutes : on étire la période de scolarisation jusqu’à 20 ans ; on donne 7 ans aux cohortes pour décrocher un diplôme ou une certification ; on englobe dans « diplômes » et « qualifications » 12 certifications différentes, qui n’ont pas toutes la même valeur, mais qui passent dans LE taux de diplomation.
Un institut d’excellence devrait être capable de décortiquer les taux de réussite et d’en comprendre les valeurs dans le but de les améliorer.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.