«Grand Theft Hamlet»: Shakespeare, des «chars» et des fusils

Une image du documentaire «Grand Theft Hamlet», de Sam Crane et Pinny Grylls
Photo: MUBI Une image du documentaire «Grand Theft Hamlet», de Sam Crane et Pinny Grylls

Pendant la pandémie, Sam Crane et Mark Oosterveen, deux acteurs anglais au chômage, vivent difficilement l’isolement lié au confinement. Cela, à l’instar de la majorité de la population mondiale. Afin de s’évader, Crane et Oosterveen s’inscrivent au célèbre jeu en ligne Grand Theft Auto (GTA). Un jour qu’ils fuient des poursuivants dans le très élaboré décor virtuel, ils repèrent un amphithéâtre abandonné. Les deux hommes ont alors l’idée folle d’y monter un Hamlet, à même le jeu vidéo. Grand Theft Hamlet, un documentaire campé exclusivement dans ledit environnement numérique, offre une fascinante incursion dans un projet artistique inusité.

Pour les néophytes, l’une des principales caractéristiques de GTA est que les joueurs, qui prennent l’apparence d’un avatar de leur choix, ont énormément de latitude quant à leurs actions. En témoigne cet intertitre, qui ouvre Grand Theft Hamlet : « Ce film a été entièrement tourné dans le jeu Grand Theft Auto Online, un monde virtuel violent et beau où presque tout est possible… »

D’où le fait qu’en théorie, les desseins théâtraux de Sam Crane et de Mark Oosterveen sont tout à fait possibles. En pratique toutefois, cela s’avère extrêmement laborieux. Aussi, Crane et Oosterveen sollicitent-ils rapidement le concours de Pinny Grylls, la conjointe documentariste du premier, qui coréalise avec lui.

En l’occurrence, beaucoup d’humour émane des imprévus et contretemps encourus. Par exemple, lorsque Crane et Oosterveen passent en audition divers joueurs, il arrive que certains fassent une erreur de manipulation et trépassent inopinément. Et il faut voir Crane et Oosterveen, ou enfin leurs avatars, déclamer en anglais élisabéthain tout en tâchant d’éviter les tirs de fusil en provenance de l’assistance : un baptême du feu aussi trépidant que désopilant.

On se remémore alors cet échange initial : « Ça va être difficile : les gens sont violents dans le jeu, par définition », lance Crane. Ce à quoi Oosterveen répond : « Hamlet, c’est violent : tout le monde meurt. »

Quelque chose d’inédit

Quoi qu’il en soit, dans l’adversité et les complications, les compagnons tiennent bon, chacun de son côté. D’ailleurs, tout du long, on ressent le poids de la solitude liée au confinement. Sans que ce soit explicité, il est clair que ce projet-là les tient en vie. Et pas qu’eux, en fin de compte.

En effet, en cours d’aventure, il arrive que les participants se livrent de manière poignante, y compris lors d’une « scène de la vie conjugale » virtuelle. Le contraste entre l’anonymat que confèrent les avatars et la teneur complètement désinhibée des confidences est saisissant.

On le sait, Hamlet a été monté de toutes sortes de façons, et en toutes sortes de contextes, au fil des siècles. Rien qu’au cinéma, Hamlet a inspiré une kyrielle de versions : adaptations fidèles (celles de Laurence Olivier, de Tony Richardson, de Franco Zeffirelli…), transpositions plus ou moins modernes (celles de Kenneth Branagh, de Michael Almereyda), voire animées (The Lion King/Le Roi lion)…

Pourtant, Sam Crane, Mark Oosterveen et Pinny Grylls ont réussi à concevoir une proposition entièrement inédite, entre pulsion de survie et expérimentation.

Outre qu’il rappelle la puissance pérenne de ce qui demeure, à raison, la plus connue des pièces de Shakespeare, Grand Theft Hamlet célèbre le pouvoir infini de l’imagination.

Grand Theft Hamlet (V.O.)

★★★★ 1/2

Documentaire de Sam Crane, Pinny Grylls. Scénario de Sam Crane, Pinny Grylls, en collaboration avec Mark Oosterveen. Royaume-Uni, 2024, 89 minutes. Sur Mubi.

À voir en vidéo