Démantèlement politique en cours
C’est ce qu’il appelle une vaste opération de restauration de l’Amérique. Grand maître dans l’art de proférer des faussetés maquillées par des formules chocs, le 47e président des États-Unis, Donald Trump, est déjà en train de faire exactement le contraire de ce qu’il prêche : il ne restaure pas l’Amérique, il s’est engagé à la démanteler.
À quoi assistons-nous depuis ce lundi d’assermentation, sinon à une opération de destruction massive des droits, des lois, des protections destinées aux plus vulnérables et aux minorités ? Même la science et l’éducation sont sur le point de passer à la trappe. Rien ne semble en voie d’arrêter cet homme, le premier président américain à avoir été condamné au criminel. Il a passé les quatre ans du règne démocrate de Joe Biden à fomenter son plan de retour. Au premier jour, il a signé de sa plume des dizaines de mesures exécutives. Sur le site de la Maison-Blanche, la liste des communiqués de presse, dont les titres brillent en lettres majuscules, vocifère un à un les pans de cette grande désarticulation.
La « révolution du bon sens », version Donald J. Trump : fidèle à son profil de climatonégationniste, retirer les États-Unis de l’Accord de Paris, et sous prétexte d’« urgence énergétique nationale », enjoindre à tout ce qui drill à « driller » gaiement — « Drill, baby, drill » — redonnant aux énergies fossiles un vernis de noblesse. Fidèle à son plus vibrant plaidoyer sur la protection des frontières et la sécurité, le président cible l’immigration : il expulsera des immigrants, il refusera l’entrée aux réfugiés, il interdira même aux bébés nés aux États-Unis de parents sans statut légal le « droit du sol » et l’accès à la citoyenneté, garanti pourtant par le 14e amendement à la Constitution des États-Unis, ratifié en 1868. L’armée doit se mobiliser immédiatement à la frontière et la construction d’un mur est relancée.
Comme il l’avait fait lors de son premier mandat, il a sonné l’assaut contre la science et le savoir. En se retirant de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les États-Unis grèvent de 20 % son budget de 6,8 milliards américains et disloquent une unité scientifique mondiale nécessaire pour affronter des défis importants de santé publique. Il veut abolir le département de l’Éducation, en redonnant aux États les pleins pouvoirs. Il veut ainsi contrer les (soi-disant) forces d’embrigadement centrées autour de l’identité de genre dans les écoles, mais en réalité, là encore, des coupes budgétaires viendront miner le soutien aux enfants en difficulté et issus des groupes minoritaires. Cohérent et constant, Trump a aussi interdit et annulé toute politique d’équité et de diversité dans l’appareil gouvernemental, en plus de ne reconnaître sur les documents officiels que le sexe biologique.
Dans tout ce délire, l’un des gestes les plus provocateurs et symboliques demeure l’avènement d’un décret présidentiel libérant de toute accusation ou de peine les émeutiers du Capitole, aussi abasourdis que reconnaissants d’avoir été libérés de prison au premier jour de l’entrée en fonction de leur maître à penser.
Cet homme dirige en dehors du cadre, au-dessus des lois, piétine la Constitution et n’a que faire des droits et libertés, ce qui annonce une ère de contestations judiciaires totalement chaotique. Il s’est entouré d’un cabinet que tout bien-pensant jugerait douteux, voire inapte, tant les expériences communes de ses membres convergent davantage vers l’incompétence que le savoir-faire. Mais pour lui et ses adeptes, ces personnages baroques vont casser la baraque et, en cela, sont tout à fait à leur place. C’est tout simplement ahurissant.
Chez nous, certains souffrent déjà de « fatigue Trump » et supplient les médias de passer à un autre appel en cessant d’accorder de l’importance à cet architecte de la déraison. Même si, en effet, il ne s’agit pas de notre propre gouvernance, on ne peut nier les impacts que pourront avoir les décisions adoptées par le président américain de notre côté de la frontière. L’imposition possible de tarifs douaniers de 25 % a créé tout un émoi, contribué au départ annoncé du premier ministre Justin Trudeau et fait dire au ministre des Finances du Québec, Eric Girard, que le retour à l’équilibre budgétaire pourrait être compromis. Les contraintes environnementales pourraient s’effriter ici aussi. Le discours de droite sur l’identité de genre et les règles encadrant l’immigration plane sur nos politiques.
L’installation au pouvoir d’un pharaon faisant fi des règles et signant le retour à un conservatisme passéiste vient solidifier les rangs des conservateurs canadiens, dont le parti trône dans les sondages pour la prochaine élection. Comme ailleurs dans le monde, le discours d’extrême droite sort de son espace marginal et s’élève au rang des normalités, ce qui fait peur. L’ère Trump vient aussi libérer et autoriser l’insulte comme mode de communication, l’outrage et la violence comme mode de contrôle des relations, et l’arrogance comme mode de gouvernance.
L’outrecuidance affichée par le président de la plus grande puissance mondiale suscite sa part d’indignation, mais elle peut aussi contaminer nos populations. Soyons aux aguets.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.