La gestion de portefeuille entre l’indiciel et l’«effet Trump»

Quand l’indiciel vous donne du 30 % (Nasdaq), du 25 % (S&P 500) ou du 20 % (S&P/TSX), c’est difficile de faire mieux. Cela dit, si l’année qui vient de se terminer est venue une nouvelle fois ébranler la gestion dite active dans ses fondements, l’incertitude appelée Donald Trump et son acharnement à provoquer le chaos sous forme d’une guerre commerciale tous azimuts vient remettre certaines pendules à l’heure.

L’étude SPIVA (pour S&P Indices Versus Active) est sans équivoque. Sur le long terme, la gestion active a tendance à réaliser des performances inférieures à celles de leurs indices de référence. Sur la base des indices boursiers, selon la dernière lecture annuelle, en 2023, 85 % des fonds d’actions canadiennes ont sous-performé par rapport au S&P/TSX. Et règle générale, pour les gestionnaires qui parviennent à se classer dans le quartile de rendement le plus élevé, peu d’entre eux — sinon aucun — parviennent à maintenir leur position au sommet pendant les deux années subséquentes, alors que ce pourcentage atteindrait les 6,25 % sur une base aléatoire. Il en irait ainsi de cycle de cinq ans en cycle de cinq ans.

Battre le fameux indice américain S&P 500 est encore plus difficile. Pour les fonds d’actions américaines, au 30 juin 2024, 72 % des gestionnaires canadiens ont sous-performé par rapport à l’indice de référence de la Bourse new-yorkaise sur un an, et 97 % sur dix ans (en dollars canadiens). Chez les gestionnaires américains, l’effet taux de change étant absent, 76 % ont moins bien fait sur un an, et 90 % sur dix ans.

Et les nuances ?

Voilà pour les statistiques officielles. Maintenant, les nuances. Une distinction doit d’abord être faite entre la gestion passive et indicielle. Avec l’indiciel, la performance réplique celle du marché avec sa pondération, sans possibilité de la dépasser. Sans oublier qu’elle n’empêche pas, ne protège pas ou n’atténue pas les revers de marché et les rendements négatifs. Et règle générale, l’investisseur s’en remet davantage à un portefeuille plus diversifié, ne serait-ce qu’en respect à son profil de risque.

La gestion passive au sens large vise généralement à reproduire à la lettre un indice ou un portefeuille de référence, et ce, sans la souplesse que requièrent les conditions changeantes du marché. On le devine toutefois. La différence entre ces deux approches se traduit la plupart du temps par une disparité importante en matière de frais de gestion (et des frais de transaction plus élevés selon la fréquence des modifications apportées au portefeuille), ce qui plombe davantage le rendement net de la gestion active.

Au-delà de cette approche mathématique empruntant à la corrélation, générer de l’alpha (de la valeur ajoutée) à partir du bêta (l’indice de référence) découle d’une recherche approfondie, d’un jeu de pondération et d’une sélection de titres ou de classes d’actif bien définie. Une étude de la banque d’affaires JP Morgan a fait ressortir qu’une faible couverture par les analystes, une faible concentration de l’indice et une forte dispersion des rendements viennent soutenir la contribution de la gestion active. « En revanche, dans le cas des indices mondiaux et des grandes capitalisations, seule une poignée de gestionnaires exceptionnels [les génies de la finance] parviennent à battre le marché », peut-on lire sur le site de Zone Bourse.

Ainsi, paradoxalement, les occasions de surclasser le marché sont plus nombreuses pour les gestionnaires actifs. Parmi les principaux facteurs soulignés par JP Morgan comme venant soutenir la sélection judicieuse de classe d’actifs, on retient le degré de couverture des analystes. « Les gestionnaires dotés de solides compétences en recherche et analyse peuvent exploiter [cette carence] pour identifier les valeurs sous-évaluées et ainsi générer de meilleurs rendements. » On peut également considérer la dispersion des rendements, soit l’écart entre les performances des actions les plus et les moins performantes. « Une forte variabilité au sein d’un indice (ou du portefeuille de référence) offre aux gestionnaires l’occasion de choisir les actions ou secteurs les plus performants et de profiter de ces écarts pour surpasser l’indice global. »

Enfin, la faible concentration. Un marché fortement concentré est dominé par les actions à grande capitalisation boursière. On l’a vu avec le S&P 500, où les « 7 magnifiques » — Nvidia, Tesla, Meta, Apple, Amazon, Microsoft et Alphabet — accaparent plus de 30 % de l’indice. Une concentration moindre « offre aux gestionnaires davantage de liberté, de pouvoir d’anticipation et de flexibilité (en matière de répartition tactique de l’actif) pour investir dans des titres susceptibles de surperformer ».

Et la Sun Life d’ajouter : « Dans le cas de la gestion active, le fait de dégager un rendement plus élevé dépend non seulement de la capacité du gestionnaire à cerner les occasions de placement, mais aussi de son savoir-faire dans la mitigation du risque. Il est essentiel de cibler, d’évaluer et d’atténuer de façon proactive les risques au sein d’un portefeuille. » On peut y greffer que, du point de vue de l’investisseur, la gestion de ses émotions et sa capacité à éviter de paniquer en cas de correction des marchés ou, à l’opposé, à ne pas céder à la tentation du mouvement de foule dans les moments d’exubérance irrationnelle ne sont pas sans avoir une incidence majeure sur les rendements sur un horizon de long terme.

L’Enquête sur les investisseurs 2024 de l’Organisme canadien de réglementation des investissements n’est, d’ailleurs, pas sans faire ressortir l’omniprésence de l’aversion au risque, voire la tendance à surestimer son degré de tolérance au risque. Près d’une personne sur quatre (24 %) parmi celles qui sont prêtes à prendre des risques élevés dit qu’elle vendrait ses titres en cas de forte baisse du marché.

On le devine. Le portefeuille idéal (à supposer qu’il existe) reposant sur la gestion hybride reste la meilleure approche, selon une ventilation propre à chaque investisseur, mais ayant la gestion active pour socle. Et l’« effet Trump » vient y apporter du poids.

Les FNB changent la donne

L’avènement des fonds négociés en Bourse (FNB) n’a pas été sans apporter un certain rééquilibrage dans cette dialectique actif-passif. D’entrée de jeu, par rapport aux fonds d’investissement dits traditionnels, ils sont venus braquer les projecteurs sur le différentiel de frais de gestion. Les FNB peuvent exiger des frais atteignant, en moyenne, 0,75 %, contre des frais allant du double au triple pour les fonds traditionnels. Dans l’univers plus strict de l’indiciel, si les frais de gestion d’un fonds traditionnel peuvent osciller entre 0,7 et 1,25 %, ceux des FNB, en l’absence de gestion active, peuvent varier entre 0,17 et 0,5 %. Certes, des frais de transaction peuvent s’ajouter (selon les comptes) lorsqu’on négocie des FNB, mais de là à justifier l’écart…

Au-delà des frais, au fil des dernières années, l’essor des FNB est passé davantage d’une approche mettant l’accent sur la corrélation (avec les marchés ou entre titres) à une prolifération des produits offerts composant la famille des véhicules à gestion active ou stratégique. Pour leur part, les conseillers financiers vont y recourir majoritairement par mesure défensive, pour contrer la volatilité, pour protéger un rendement, pour ajouter un style valeur, voire pour greffer une composante plus spéculative au portefeuille.

Cette prolifération des fonds négociés en Bourse est notamment venue proposer des véhicules offrant une exposition thématique ou peu ou pas corrélés au marché, ou empruntant à l’univers des placements privés, des fonds alternatifs ou encore des fonds de couverture (hedge funds). L’éventail s’étend aux fonds de valeur et à petite capitalisation, aux FNB thématiques et sectoriels, aux FNB offrant une protection contre l’inflation ou les reculs de marché, à investissement d’impact ou encore aux fonds proposant des contrats à terme sur la cryptomonnaie. Voire les FNB à faible volatilité composant la famille plus grande des produits à « bêta intelligent ». Soit un éventail à ce point large qu’il permet à l’investisseur de sélectionner à partir de ses critères et de la pondération souhaitée.

Même dans cet univers, l’alpha sera davantage recherché par l’investisseur selon que l’on approche d’un sommet ou d’un changement de tendance, que ce soit dans le marché boursier ou dans celui des titres à revenu fixe. Selon une lecture américaine de l’agence Bloomberg reprise par JP Morgan, les actifs mondiaux sous gestion des FNB à gestion active ont fortement augmenté ces dernières années, passant de 58 milliards de dollars américains à la fin de 2017 à 565 milliards à la fin de 2023. La part de ces FNB dans les portefeuilles des investisseurs a progressé régulièrement au cours des cinq dernières années. Reprenant l’étude Global ETF Survey 2023 de Trackinsight, réalisée auprès de plus de 500 acheteurs de FNB dans le monde, on retient que près de 70 % de ces investisseurs ont désormais recours à des FNB à gestion active dans leur portefeuille, tandis que pour 12 % d’entre eux, les FNB à gestion active représentent plus de 40 % de leurs actifs totaux.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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