Katherine Melançon: quand la technologie permet de révéler le vivant
Pour comprendre comment les artistes d’ici façonnent la matière pour en extraire leur vision du monde, il faut aller à leur rencontre. Mise en lumière est une série de portraits qui paraît chaque fin de mois. Des incursions dans l’univers de créateurs qui travaillent leurs œuvres de manière inusitée, en retrait de l’actualité culturelle.
Mettre à profit le potentiel de la technologie pour révéler l’agentivité du vivant, voilà ce qui intéresse Katherine Melançon dans son œuvre, qui repose sur la recherche, l’échange et la communauté — du jardinier à l’universitaire, l’humain au cœur, toujours. « Ce que je cherche, c’est aussi une transdisciplinarité des médiums qui se parlent entre eux », précise l’artiste dont le travail prend tantôt la forme d’installations, tantôt de tapisseries, d’images en mouvement ou tout autre objet de curiosité, comme Soleil couchant – Monument au soleil (après Chapdelaine), présenté à la galerie Patel Brown à Montréal jusqu’au 22 février. Ce jacquard retranscrit de façon numérique, grâce à des capteurs, en temps réel, le coucher de soleil d’Alma afin de rendre hommage à son grand-oncle, Jacques Chapdelaine, et l’une de ses sculptures datant de 1966.

L’hybridation du numérique est dès lors un moyen pour Katherine Melançon de le désacraliser. « Arrêter d’en faire un truc qui est célébré pour lui-même, qui est précieux », dit-elle dans un désir de le bousculer, de le faire rencontrer ce à quoi on l’oppose dans une optique très organique. Des écrans proches de la terre, proches des plantes. Depuis ses débuts, la pensée de l’artiste s’est ainsi articulée autour de l’évolution de notre relation au monde vivant. « Aujourd’hui, mes idées sont plus tournées vers l’utilisation de ces moyens-là pour nous faire voir le vivant autrement, nous le faire apprécier davantage, puis voir qu’il peut participer à notre rénovation, à notre transformation en tant qu’êtres humains. »
Technique et nature en symbiose
Pour ce faire, Katherine Melançon se sert notamment d’un numériseur (scanner) comme d’une caméra afin de capturer les végétaux. « C’est de la photographie sans caméra, mais, d’une certaine manière, inversée parce que je manipule le sujet, qui sont les plantes, quand le scanner passe », explique-t-elle. Cette technique qu’elle a su parfaire lui permet de réussir à créer toutes sortes d’effets de flou, de filet ou de détail, de profondeur de champ. « Une fois numérisé, ça devient presque une semence numérique dans laquelle il y a les glitchs, de la performance, donc la réaction de la machine à ce que je fais, mes mouvements à moi qui y sont intégrés et qui donne une nouvelle itération de tel ou tel spécimen », ajoute l’artiste. On entendrait presque l’écho du Mother Earth’s Plantasia de Mort Garson. Cette nature morte, version Katherine Melançon, sera par la suite tissée, imprimée, gravée. Il est essentiel pour elle, à travers ces œuvres, de faire « ce rappel-là de la nature qui est déstabilisée, qui a une vie, un cycle qui est bouleversé par l’empreinte de notre activité », comme un parallèle aux interactions humaines elles-mêmes.

La nature, peu la célèbrent, et c’est d’autant plus vrai parmi les gens de pouvoir, ou veulent la défendre. Katherine Melançon en est convaincue, a contrario des technologies. « On a des apôtres de toutes sortes, on le voit bien avec l’intelligence artificielle, derrière laquelle se cachent toutefois les rouages des lobbys de l’énergie », mentionne-t-elle, tout en relevant le paradoxe de sa pratique. « J’ai exploré l’intelligence artificielle et ça peut sembler incohérent. En même temps, je pense que c’est important que l’on connaisse ces choses-là pour se forger un point de vue, pour qu’on les utilise consciemment, ou, en tout cas, de la façon la moins destructrice possible », indique l’artiste. Celle-ci croit qu’en étant loin de quelque chose, on ne peut ni le comprendre ni le commenter et encore moins le décrier. Ce dialogue avec le temps présent, en usant avec sensibilité des outils actuels, serait donc une solution pour se sentir moins seuls face à ce grand défi urgent qu’est l’environnement en péril.

D’après Katherine Melançon, les artistes ont, plus que jamais, un rôle essentiel à tenir pour remettre en question l’ordre des choses, participer aux débats de société. « Je trouve un petit peu dommage qu’on ne finance pas assez la culture. On fait partie de la société, et en même temps, on garde une certaine distance avec elle pour y réfléchir », confie-t-elle, inquiète tant par la négligence des gouvernements à l’égard de son milieu que par la menace que fait peser sur lui l’intelligence artificielle, en ce qui concerne, entre autres, les droits d’auteur. « Dominique Champagne et Kev Lambert se sont déjà exprimés sur le manque de financement et il ne faut pas qu’on arrête de le dire. On a ce privilège de provoquer des discussions avec des gens qui sont peut-être pris dans leur quotidien à travers un autre langage. » Pour elle, tous les échanges sont bons à prendre pour faire avancer le débat et la sensibilisation du grand public, qu’elles aient lieu sur les réseaux sociaux ou dans les expositions. « J’aime beaucoup faire la visite avec les gens, peu importe leur niveau de familiarité avec l’art ou avec mon travail. C’est très réjouissant de faire ces rencontres-là », dit-elle. Enrichissant pour tout le monde, aussi.

Katherine Melançon est donc à la croisée des chemins. « C’est cet équilibre-là que je cherche dans mon travail : rester ancrée avec les moyens qu’on a aujourd’hui, continuer à faire toutes sortes de boucles avec des matériaux traditionnels », précise-t-elle. Parce que le numérique n’a pas émergé d’un coup d’un seul, l’artiste tient également à insister sur un point crucial. Le numérique et la nature ne sont pas déconnectés l’un de l’autre. « La technologie, ça vient de nous. Ce sont les minéraux qui sont dans tout ça. C’est naturel. »