«La culture vit une crise majeure», disent les conseils régionaux

«Les institutions muséales [sont] présentement fragilisées dans leur mission et leur rôle central dans le rayonnement culturel des régions», lit-on dans le mémoire prébudgétaire du regroupement des conseils régionaux de la culture (CRC) du Québec. Sur la photo, une exposition au Musée d’art de Joliette.
Photo: Paul Litherland «Les institutions muséales [sont] présentement fragilisées dans leur mission et leur rôle central dans le rayonnement culturel des régions», lit-on dans le mémoire prébudgétaire du regroupement des conseils régionaux de la culture (CRC) du Québec. Sur la photo, une exposition au Musée d’art de Joliette.

Tous les conseils de la culture de toutes les régions du Québec ont signé une lettre ouverte au premier ministre François Legault. Il est « impératif de ramener les investissements de l’État en culture au niveau pandémique », disent-ils dans la missive dévoilée le 5 février. Leurs milieux culturels, pourtant si différents, se retrouvent tous sous une pression inédite.

« Le secteur culturel et artistique de toutes les régions du Québec vit présentement une crise majeure et la vitalité de la culture québécoise est en péril », clament d’emblée ces interlocuteurs habitués des politiques et habituellement discrets dans l’espace médiatique.

« C’est effectivement une première pour notre réseau, de s’adresser comme ça au premier ministre », confirme Éric Lord, directeur général du Réseau Culture 360°, le regroupement des CRC du Québec. « Je pense que ça témoigne de nos inquiétudes. »

« Notre culture a besoin d’être protégée et nous croyons fermement que c’est notre devoir comme nation de la préserver », scandent par écrit les présidents des conseils régionaux de la culture (CRC), qu’ils soient en Abitibi-Témiscamingue, en Outaouais, en Gaspésie, sur la Côte-Nord, à Montréal ou dans la Capitale-Nationale.

Argents doubles

C’est en tant qu’intervenants « de première ligne et partenaires du gouvernement du Québec pour le soutien au milieu culturel » que les CRC sentent le besoin de sonner l’alarme. « Les lignes directrices qui sont lancées actuellement pour le prochain budget nous laissent penser que la culture ne va pas s’en sortir indemne », explique M. Lord en visioentrevue.

« C’est complexe, mais en gros, dans les budgets, il y a toujours un budget de base, auquel s’ajoutent des mesures. Le problème de la culture, c’est qu’il y a une proportion énorme de mesures temporaires », qui sont là seulement pour un, deux ou cinq ans, avec un axe précis — mesures COVID, mesures numériques, rayonnement de la culture québécoise, etc. Ainsi, pendant la pandémie, le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) avait environ 106 millions de dollars en budget de base, pour un budget total de 224 millions. « Toute la balance était en mesures… », affirme M. Lord, et faisait plus que doubler le montant.

« Les lignes directrices qu’on nous a partagées, c’est que les budgets de base ne bougeraient pas, ne seraient pas haussés, et que toutes les mesures temporaires qui venaient à échéance ne seraient pas renouvelées. C’est là que la situation, qui est déjà un petit peu compliquée pour nous autres, va le devenir encore plus », s’inquiète celui qui dirige aussi le CRC Mauricie.

« Force est de constater que dans les conditions actuelles, maintenir l’accès des Québécois à une offre culturelle aussi riche et diversifiée est quasi impossible », écrivent ensemble tous les CRC.

Les causes de cette crise ? On les connaît : la transformation numérique, la domination des « géants du Web et l’effritement des médias font en sorte que notre vie culturelle est de moins en moins visible », estiment-ils. S’ajoutent les changements postpandémiques des habitudes des publics, l’inflation et l’explosion des coûts de production du secteur, qu’ils évaluent en moyenne à 30 % de plus.

L’insuffisance du soutien gouvernemental à la culture est l’accélérateur de cette nouvelle réalité qui crée la crise, croient encore les CRC. « Une forte proportion des organismes soutenus par le CALQ doit évoluer avec un budget non indexé depuis sept ans », enchaîne leur lettre ouverte. « Ce sont 120 entreprises culturelles qui n’ont plus de soutien de la part de la SODEC. Le ministère de la Culture a été contraint de réduire l’accès gratuit aux musées. Certains indicateurs nous laissent croire qu’il pourrait y avoir d’autres compressions à l’échelle régionale. »

En plus de réclamer une hausse des crédits octroyés par le gouvernement à la culture, les CRC demandent que les musées soient « correctement financés partout sur le territoire ».

Des musées sans moyens

Les CRC travaillent depuis 1976 au développement culturel des régions du Québec, en connaissant et en reconnaissant les particularités de chaque région et de chaque territoire — ses lieux, ses organismes, ses artistes, ses municipalités, ses politiques, ses citoyens. Ce sont des maillons importants pour travailler l’équité des offres culturelles à la grandeur du Québec.

Dans son mémoire déposé en janvier 2025 lors des consultations prébudgétaires, Réseau Culture 360° établit cinq priorités.

D’abord, un refinancement des CRC, qui ont besoin d’environ 2,5 millions de dollars de plus par année pour les trois prochaines années pour fonctionner et assurer la continuité de leurs services.

Les CRC se joignent ensuite aux demandes du Front commun pour les arts du Québec et prônent de porter à 200 millions par année le financement annuel du CALQ.

Le financement des musées est une autre priorité. « Les institutions muséales [sont] présentement fragilisées dans leur mission et leur rôle central dans le rayonnement culturel des régions », lit-on.

Le programme Aide au fonctionnement pour les institutions muséales du Québec offrait, pour l’exercice 2019-2022, un soutien de 20,3 millions de dollars par année à 96 établissements muséaux, rappelle Stéphane Chagnon, de la Société des musées du Québec. La subvention moyenne pour un établissement était alors de 211 458 $ par an. En 2024-2025, l’enveloppe était de 25,1 millions pour 124 musées, pour une subvention moyenne de 202 419 $ par an — une légère diminution. Or, si la subvention moyenne avait suivi l’inflation depuis 2019, elle aurait dû être de 249 904,91 $ en 2024, selon la feuille de calcul de la Banque du Canada.

Finalement, les CRC auraient besoin d’aide pour soutenir la stratégie de financement privé développée à la demande du ministère. Quelque 3 millions de dollars par an pour les trois prochaines années les aideraient à continuer à développer des outils et accompagner leurs organismes dans le développement du mécénat et de la philanthropie. Un projet-pilote de fondation à échelle régionale est aussi dans les cartons.

« Nous comprenons la situation financière dans laquelle se trouve le Québec », affirment les signataires. « Mais faut-il pour autant abandonner notre culture ? Les maigres économies à faire dans le budget de la culture justifient-elles de mettre en dormance ce qui nous distingue comme peuple ? » demande finalement la lettre.

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