L’aveuglement du zeitgeist

«Il faut absolument s’abstenir de céder à nos émotions du moment pour choisir les meilleures options pour l’avenir, individuellement et collectivement», dit l’auteur.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir «Il faut absolument s’abstenir de céder à nos émotions du moment pour choisir les meilleures options pour l’avenir, individuellement et collectivement», dit l’auteur.

Nos croyances et nos opinions se forment trop souvent à la suite d’une vision à court terme, selon l’air du temps et sous le coup de l’émotion, alors qu’elles devraient plutôt émaner d’une mûre délibération réfléchie. Nous oublions facilement les erreurs du passé et refusons d’envisager l’avenir avec lucidité.

Alors que les incendies dévastaient la Californie et que les ouragans inondaient la Floride, plusieurs réclamaient la mort des énergies fossiles, responsables du réchauffement climatique. Maintenant que Donald Trump lance une guerre des tarifs douaniers et que les feux sont éteints, pour l’instant, certains veulent relancer des projets d’oléoducs et de gaz naturel liquéfié, pourtant incompatibles avec la lutte contre les gaz à effet de serre (GES) à long terme.

Les timides tentatives d’ingérence politique de la Chine, les menaces de TikTok sur nos données personnelles et le peu de respect des droits de la personne du Parti communiste chinois engendrent la sinophobie. Pourtant, des alliances avec la Chine seraient probablement souhaitables pour épauler la filière batterie, les autobus électriques, l’intelligence artificielle et d’autres technologies de pointe au Québec. Nos voisins du Sud semblent soudainement plus belliqueux envers nous qu’envers la Chine.

La crise du logement alimente le sentiment que l’immigration est nocive pour le Québec alors que la pénurie de main-d’œuvre qualifiée et d’étudiants universitaires retarde la recherche et le développement à long terme. Ne pas offrir un toit, si modeste soit-il, aux itinérants empêche la réinsertion sociale.

Est-il rationnel de prévoir dépenser des milliards de dollars en brise-glaces, en sous-marins et en avions de chasse pour contrecarrer une hypothétique invasion ennemie du passage du Nord-Ouest et satisfaire la mégalomanie expansionniste de l’empire américain ?

L’horrible tuerie en 2017 à la grande mosquée de Québec et le prosélytisme religieux des enseignants de l’école de Bedford doivent être condamnés avec force, mais ils ne doivent pas entraver la quête du vivre-ensemble harmonieux à long terme tout en respectant la laïcité de l’État.

Des embouteillages sur le pont Pierre-Laporte poussent des élus à vouloir dépenser des milliards pour créer un troisième lien à Québec alors que les études sont loin d’être convaincantes sur la pertinence du projet.

Les coupes en santé de 1,5 milliard de dollars décrétées sur un coup de tête idéologique par souci de rigueur budgétaire obligent Santé Québec à diminuer l’offre de services aux plus vulnérables.

Les substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS), qui forment une famille de plusieurs milliers de composés chimiques, et les perturbateurs endocriniens causent des cancers et tuent sournoisement. L’absence de manifestations spectaculaires fait que les politiciens en parlent peu et occultent volontiers leurs effets délétères.

Il faut absolument s’abstenir de céder à nos émotions du moment pour choisir les meilleures options pour l’avenir, individuellement et collectivement. Nos dirigeants devraient toujours douter, ne rien tenir pour acquis et envisager toutes les options objectivement avant de prendre des décisions, et surtout ne pas céder au zeitgeist, aux idées préconçues, aux biais cognitifs et aux échéances électorales.

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