Et si c’était le moment de prendre en main notre production alimentaire?

Face aux incertitudes provoquées par nos voisins du Sud et aux tensions économiques mondiales, le système alimentaire québécois est plus vulnérable que jamais. Nous sommes à un moment déterminant pour nos fermes, qui sont les garantes de notre souveraineté alimentaire. Cette crise est un tournant : nous pouvons choisir de reprendre en main notre alimentation, de favoriser la production locale et de soutenir des modèles agricoles différents qui nous rapprochent de l’autonomie alimentaire.
Des fermes à échelle humaine comme Les Bontés de la Vallée et Cadet Roussel montrent qu’il est possible de cultiver autrement. Depuis plus de 15 ans, elles proposent des paniers biologiques et, depuis l’an dernier, elles expérimentent un projet pilote réinventant leur mise en marché par un lien tissé serré avec les mangeuses et mangeurs de leurs légumes.
Construire un modèle agricole résilient
Bien que riche en ressources naturelles, la province ne produit que 35 % des aliments qu’elle consomme, le reste étant importé. Nos agricultrices et agriculteurs, souvent confrontés à des coûts croissants et à une forte pression du marché, peinent à maintenir leurs exploitations et des salaires décents. À chaque crise, beaucoup sont contraints de fermer. De plus, nos terres agricoles, qui ne représentent que 2 % de la superficie du Québec, essentielles à notre autonomie, disparaissent progressivement au profit de l’étalement urbain et de la spéculation foncière.
En parallèle, un grand nombre d’exploitants agricoles sont sur le bord de la retraite, sans repreneurs par manque de relève intéressée face aux conditions salariales basses et aux prix exorbitants des terres agricoles.
Face à cette réalité, il existe une diversité de solutions, parmi lesquelles des fermes communautaires comme Les Bontés de la Vallée et Cadet Roussel, qui tentent de prouver qu’il est possible de créer des modèles d’agriculture résilients, susceptibles de nourrir correctement tout le monde, y compris les fermières et les fermiers, car c’est cela aussi qui est en jeu. Elles permettent de se réinventer : chaque membre peut payer ce qu’il souhaite, assurant ainsi une accessibilité sans stigmatisation, à la discrétion de chacun, tout en garantissant l’accès aux mêmes quantités de légumes. La récolte est partagée, tout simplement. Cette stratégie permet de déconnecter la mise en marché des fluctuations des grandes chaînes de distribution pour l’ancrer dans la réalité locale, lui conférant ainsi une plus grande robustesse face aux crises économiques.
Une protection face à l’inflation et aux fluctuations du marché
Les fermes communautaires offrent une réponse concrète à l’inflation et aux fluctuations du marché. En effet, lorsqu’on achète des légumes dans un circuit traditionnel, leur prix varie selon l’offre et la demande : un kilo de tomates coûte moins cher en août qu’en janvier. De plus, les grandes surfaces en profitent pour augmenter leurs profits, alors qu’un nombre croissant de personnes se retrouvent en situation d’insécurité alimentaire. Même dans un modèle de paniers agricoles classiques, les productrices et producteurs ajustent souvent la quantité de légumes en fonction des prix du marché, et le surplus est revendu à des restaurants ou à d’autres circuits commerciaux.
Dans une ferme communautaire, ce principe change radicalement. Toute la production est partagée entre les membres, peu importent les variations du marché ou les crises économiques. Que le prix des tomates explose à cause d’une sécheresse ou d’une hausse des tarifs douaniers, chaque membre reçoit une quantité proportionnelle à ce qui a été récolté dans les champs. Le surplus, s’il y en a, est soit redistribué gratuitement entre les membres, soit offert à un organisme local, soit vendu à un restaurant voisin. Ce modèle permet de sortir partiellement des logiques de marché international et de garantir un accès équitable à des aliments frais, indépendamment des fluctuations économiques qui n’ont rien à voir avec le travail réel des fermiers et fermières.
Les fermes soutenues par la communauté sont donc bien plus que des lieux de production : elles sont des espaces de résilience et d’innovation sociétale. Elles nous permettent d’expérimenter d’autres solutions alimentaires, où nos productrices et producteurs ainsi que nous autres citoyens construisons ensemble des chemins nourriciers québécois.
Agir maintenant pour soutenir nos fermes
Après une première année de fonctionnement réussie, les responsables des Bontés de la Vallée et de Cadet Roussel sont prêts à poursuivre cette expérimentation. Mais, pour cela, ils ont besoin de notre soutien à toutes et à tous. Sans quoi, ces fermes vont tout simplement cesser d’exister. Comme le souligne Mélina Plante des Bontés de la Vallée dans une lettre s’adressant aux membres de l’année un du projet :
« Le projet de ferme communautaire est notre ultime tentative pour rendre viable une agriculture écologique, paysanne, de proximité. Si les objectifs ne sont pas atteints dans les délais, nous ne prendrons pas sur nos épaules le risque financier que suppose la poursuite d’une saison maraîchère pour laquelle les revenus ne sont pas assurés. C’est malheureusement la situation extrêmement fragile et insensée dans laquelle sont placés tous les producteurs agricoles, condamnés à pratiquer leur métier dans un contexte de libéralisme économique. »
Nous avons le pouvoir de faire une différence concrète. En choisissant de manger local, en soutenant nos fermes québécoises, nous bâtissons ensemble un avenir alimentaire durable.
C’est maintenant que tout se joue !
*Ont cosigné cette lettre : Mylène Potvin (candidate à la maîtrise en gestion de l’innovation sociale, HEC Montréal) ; Jonathan Durand Folco (professeur à l’École d’innovation sociale, Université Saint-Paul) ; Yves-Marie Abraham (professeur agrégé, HEC Montréal) ; Mélina Plante et François D’Aoust (fermiers, Les Bontés de la Vallée) ; Antonious Petro (directeur général, Régénération Canada) ; Laurie St-Fleur (doctorante en sciences biologiques, Université de Montréal, Institut de recherche en biologie végétale) ; Joan Laur (professeure associée sciences biologiques, Université de Montréal, Institut de recherche en biologie végétale, Jardin botanique de Montréal) ; France Levert (membre bénévole du groupe-Noyau de la ferme Les Bontés de la Vallée) ; Hubert Lavallée (président, Protec-Terre) ; Carole Poliquin (réalisatrice, film Humus) ; Lyne Nantel (membre bénévole du groupe-Noyau de la ferme Les Bontés de la Vallée) ; Kim Fox (directrice de programmation, Le Dépôt Centre Communautaire D’alimentation), Marie-Anne Viau (enseignante en agriculture urbaine) ; Laurence Fauteux (membre bénévole du groupe-Noyau de la ferme Les Bontés de la Vallée) ; Maxime Baril (directeur général, QUiNTUS) ; Nadia Ponce Morales (conseillère et chargée de cours en développement durable) ; Mylène Drouin (membre bénévole du groupe-Noyau de la ferme Les Bontés de la Vallée) ; Anne Roussel et Arnaud Mayet (fermiers, Cadet Roussel) ; Sylvie Lapointe (chercheure en anthropologie / agroécologie et cinéaste) ; Geneviève Duguay (membre bénévole du groupe-Noyau de la ferme Les Bontés de la Vallée) ; Florence Roy-Allard et Laurence Deschamps-Léger (co-coordonnatrices du Forum SAT) ; Pawel Porowski (conseiller en systèmes alimentaires de proximité) ; Judith Colombo (codirectrice, Collectif Récolte) ; Julie Francœur (chercheuse indépendante et autrice, livre Sortir du rang : la place des femmes en agriculture) ; Nata Porowska (productrice maraîchère aux Jardins Havre Vert et intervenant en agriculture communautaire).
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