Gare aux contradictions
Nouvelle année, nouvelle offensive nationaliste caquiste. François Legault avait prévenu qu’il mettrait le cap sur le dossier de l’identité. Ce fut chose faite dès les premiers jours de la rentrée parlementaire à Québec, avec le dépôt de son projet de loi-cadre enchâssant le modèle choisi de l’interculturalisme comme meilleur rempart pour assurer la vitalité et la pérennité de la langue française et de la culture francophone.
Le projet de « loi sur l’intégration nationale » énonce les grands principes auxquels adhère la société québécoise — être démocratique, laïque, guidée par sa Charte des droits et libertés et l’égalité hommes-femmes, et évoluer dans une langue commune, le français. L’affirmation nationale de consensus établis au Québec, qui guideront au travers de l’appareil de l’État québécois l’intégration de nouveaux arrivants dans un esprit de mixité.
Sur papier, la proposition caquiste s’en tient aux terrains d’entente et aux doctrines orthodoxes du modèle d’intégration québécois à une société et à une culture communes. L’adhésion et la participation de tous, la contribution de chacun.
Une nouvelle proposition législative qui se veut consensuelle, afin d’apporter une nouvelle pierre à l’édification d’un cadre constitutionnel proprement québécois. De grands pans de la mise en œuvre de cette loi-cadre restent toutefois à définir.
Une politique nationale viendra régir son champ d’application dans l’appareil gouvernemental et parapublic 18 mois après son adoption. Un règlement balisera par ailleurs les nouvelles règles de financement d’activités et d’organismes soutenus par l’État, qui devront à l’avenir respecter ce nouveau cadre d’intégration, dans les deux années suivant sa promulgation.
Le ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Jean-François Roberge, a laissé entendre, à la suite du dépôt de son projet de loi jeudi, que son gouvernement pourrait ainsi forcer un pressant ménage dans l’attribution de places dans les garderies subventionnées, où le religieux s’est immiscé. Il a en outre laissé planer la possibilité que le financement public versé aux écoles à vocation religieuse puisse être revu à son tour. Un revirement pour le gouvernement, qui choisirait alors judicieusement la voie de la cohérence.
Bien qu’il prépare sa loi depuis 18 mois, le ministre Roberge s’est montré tout aussi vague quant aux nouvelles balises qui encadreront le financement étatique d’événements communautaires ou d’activités culturelles. Au-delà de la microgestion du moindre rassemblement, l’adoption d’une culture commune passe par la découverte d’artistes et d’œuvres du Québec. Et pas seulement forcée.
Pour un gouvernement qui souhaite rassembler tous les Québécois autour d’une culture commune, dont les acteurs crient leur détresse, la fin de la gratuité universelle dans les musées le premier dimanche du mois est difficile à expliquer.
Tout comme la fermeture de classes de francisation. Le ministre et son gouvernement ont beau nier les « coupures budgétaires » en prétextant plutôt « le respect budgétaire », le résultat est le même. Les immigrants, de qui il exige une maîtrise du français pour en assurer la vitalité devant la menace, sont privés des cours espérés.
Prétendre que la demande rejoindra l’offre en francisation puisque le gouvernement resserre l’accueil d’immigrants temporaires relève de l’illusion. L’arriéré de nouveaux arrivants désireux d’apprendre la langue commune du Québec (bien qu’il découle d’abord de l’accueil pléthorique fédéral) ne disparaîtra pas pour autant. Et ceux qui fuient la guerre, les dérèglements climatiques ou la dureté du président américain, Donald Trump, ne seront pas moins nombreux.
Les contradictions du gouvernement de François Legault ne s’expliqueront pas aussi facilement.
D’autant que son propre projet de loi-cadre prône une nécessaire approche de réciprocité des responsabilités partagées entre l’État québécois et les nouveaux arrivants.
Il est attendu que ces derniers apprennent le français et participent ainsi à la vitalité de la culture québécoise. Encore faut-il leur donner les moyens de respecter ce contrat social qui leur est présenté.
Le gouvernement s’engage, noir sur blanc, à prendre des mesures pour contribuer à leur intégration, « par exemple en créant et en maintenant les conditions favorisant l’apprentissage du français ». De même qu’à « facilite[r] l’accès aux œuvres et aux contenus culturels ». Les échos sur le terrain — qu’ils découlent d’une rigueur ou d’une responsabilité budgétaires — laissent croire que le gouvernement n’y met pas tout à fait les ressources prescrites.
François Legault mise sur la carte de l’identité pour faire oublier les défis auxquels il fait face. Au-delà des intentions, c’est sur les résultats concrets qu’il sera jugé.
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