Nous n’irons pas en Californie
Depuis la fin de l’été dernier, avec mon tendre époux et nos deux merveilleux jeunes adolescents, nous étions à planifier un long voyage en voiture qui devait nous mener jusqu’en Californie.
Nous avons la chance d’avoir beaucoup voyagé avec nos enfants depuis leur naissance. Nous les avons trimballés au Mexique, à Cuba, en France. En voiture, nous avons visité des dizaines de régions du Québec, on a fait le proverbial tour de la Gaspésie, on a aussi vu le Maine et New York. Dans ces voyages, nous avons connu des niveaux de confort très variables, allant des motels miteux à de jolis hôtels en passant par du camping sauvage. Ces enfants sont devenus de formidables partenaires d’aventures, autonomes, curieux et surtout capables de s’adapter à toutes sortes de situations.
Nous avions pris la décision de nous rendre en Californie en voiture pour des raisons écologiques, économiques et, surtout, touristiques. L’idée de traverser le continent d’est en ouest en nous gavant de paysages et de lieux mythiques au fil de la route nous séduisait beaucoup. Je rêvais de passer une soirée à Chicago, de déjeuner sur le bord du Mississippi, de passer une nuit dans un petit chalet en bois rond au cœur de la forêt nationale de Medicine Bow-Routt, qui traverse le Wyoming et le Colorado. Les ados, eux, rêvaient de voir le Golden Gate Bridge, Alcatraz, Venice Beach, les grosses lettres Hollywood et le désert du Nevada. Bref, nous avions planifié un vrai road trip made in USA.
Il y avait une certaine urgence à le faire cet été, puisque bientôt nos enfants n’auront probablement plus trop envie de voyager avec leur « vieux ». Leurs étés seront remplis par leurs premiers emplois, leurs premières transes amoureuses, leurs premiers voyages entre amis et autres expériences essentielles qui forment la jeunesse. Sans oublier que, d’un point de vue simplement pratico-pratique, notre garçon, qui aura 14 ans ce printemps, grandit à vue d’œil, dépassant déjà sa mère, qui n’est pas petite. Il ne pourra bientôt plus raisonnablement passer huit heures par jour, durant trois semaines, assis à l’arrière de notre petite berline hybride.
Quand Trump a été élu, au mois de novembre, le premier réflexe de mes enfants fut de me demander si ça remettait en cause notre voyage. Ils se souvenaient que, lors de son dernier mandat, j’avais obstinément refusé de voyager aux États-Unis. J’ai donc marché sur mes principes et admis que c’était peut-être le dernier été où nous pouvions faire un tel voyage, et je les ai rassurés en disant que nous irions malgré tout nous baigner à Malibu. J’ai plaisanté en disant que nous pourrions filmer nos aventures et appeler ça « La famille Cabochon au cœur de l’Amérique de Trump ».
Mais voilà, je suis revenue sur ma parole, et je leur ai annoncé que le voyage était bel et bien annulé pour des raisons politiques, féministes, humanistes et même patriotiques. Oui, oui, patriotiques. Il faut le faire, même la souverainiste en moi est une fière Canadienne en ce moment. D’habitude, ça ne m’arrive que lorsque j’écoute les Jeux olympiques.
Comme on sait que les touristes canadiens rapportent plusieurs milliards de dollars par année aux Américains, rester de notre côté de la frontière pour profiter de nos vacances devient le boycottage le plus simple et le plus efficace pour répondre à la logique de guerre commerciale dans laquelle Trump semble vouloir nous plonger.
Nous dépenserons donc notre budget vacances au Canada. Les enfants voudraient voir Niagara Falls, Toronto et Sandbanks ; moi, j’ai plutôt envie de Caraquet et du parc national Kouchibouguac, au Nouveau-Brunswick. Nous passerons à la table des négociations ultérieurement. Peu importe la destination que nous choisirons, l’important, c’est que nous ne donnerons pas nos économies à un État qui bafoue nos valeurs fondamentales.
Lors du premier mandat de Trump, quand j’avais dit à une connaissance que je ne mettrais pas les pieds aux États-Unis tant qu’il en serait le président, cette dernière m’avait dit qu’il était déplorable de priver les simples citoyens de revenus alors qu’ils ont peu à voir avec les décisions de leur chef d’État mégalomane. Ce n’est pas faux — environ la moitié des Américains n’ont même pas élu Trump. Quand je pense aux petits propriétaires de restaurants ou de magasins qui dépendent de l’affluence des touristes, j’avoue me sentir un peu mal. Mais je n’ai que ce levier pour faire entendre ma grogne. Si seulement la moitié des Canadiens qui comptaient aller faire un tour aux États-Unis y renonçaient, ce seraient des milliards de dollars en moins pour l’économie américaine.
Combattre cette nouvelle oligarchie, qui semble faire fi des fondements de la démocratie, de ses propres lois et des valeurs morales universelles, me semble être devenu le devoir de chaque citoyen éveillé qui voit venir les dangereuses dérives de cette puissance mondiale.
En terminant, toujours sur le thème de « consommer, c’est voter », j’aimerais souligner que nous sommes aujourd’hui le 12 février et que la réalisatrice Myriam Verreault a lancé le mouvement de solidarité « J’achète un billet québécois ». Si vous en avez les moyens et si la culture québécoise vous tient à cœur, je vous invite à acheter un billet de théâtre, de musique, de danse ou de cinéma pour soutenir les artistes d’ici, qui voient leurs conditions se détériorer dramatiquement malgré leur fabuleuse créativité et leur immense talent.
Et puis, l’art, c’est un joli cadeau à offrir à la Saint-Valentin.
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.