Les universitaires en appui au Front commun pour les arts

Au sein des universités, les artistes insufflent une dynamique intellectuelle et créative primordiale, notent les auteurs.
Photo: Charly Triballeau Agence France-Presse Au sein des universités, les artistes insufflent une dynamique intellectuelle et créative primordiale, notent les auteurs.

Les artistes sont d’abord nos collègues.

Leur présence s’est imposée depuis longtemps dans les établissements postsecondaires, où ils et elles jouent un rôle crucial dans les programmes de formation en arts et lettres. La commission Rioux, qui a donné la première impulsion au développement de la formation artistique au Québec et plaidé en faveur de sa démocratisation, reconnaissait déjà leur apport à la fin des années 1960 dans l’effort de modernisation des institutions et d’adaptation à un monde où la création s’imposait comme moteur de transformation sociale.

Le phénomène n’a fait que s’accentuer depuis.

Les artistes enseignent, transmettent, partagent leurs expertises et leurs visions avec les étudiants, qui les considèrent comme un lien vital entre les bancs d’école et les professions auxquelles plusieurs aspirent. Dans certains programmes, les créateurs forment le contingent le plus nombreux des enseignants. Engagés à la leçon, ils et elles interviennent sur une base régulière ou ponctuelle, à titre de chargés de cours, de conférenciers ou encore de professeurs invités. L’enseignement est pour plusieurs une vocation, qui cohabite avec les activités de création, mais qui permet également de prendre du recul vis-à-vis du métier à divers moments de la carrière. Dans le contexte de crise actuel, ce travail constitue un revenu non négligeable.

Habiter un peu mieux le monde

Au sein des universités, les artistes insufflent une dynamique intellectuelle et créative primordiale. Leur engagement ne se réduit pas à garantir la qualité des formations en art ; il contribue également de manière décisive à l’essor de la recherche. De nombreuses approches développées en littérature, en théâtre, en musique, en arts visuels, en design, en cirque et en danse offrent plus que jamais l’occasion d’établir des maillages féconds entre les milieux de la création et ceux de la recherche. Nombreux sont les outils mobilisés par les chercheurs pour comprendre, aux côtés des créateurs, les dimensions esthétique, sociale et politique de leurs œuvres, ainsi que la manière dont elles nous permettent sans doute d’habiter un peu mieux le monde.

Depuis près de 20 ans, le développement de la recherche-création, qui allie pratique artistique et réflexion théorique, contribue à la reconnaissance de la création comme véritable vecteur de savoir. À travers leurs expérimentations, les artistes participent donc pleinement à la production des connaissances et ouvrent des perspectives inédites sur des enjeux d’importance. Leurs contributions dépassent d’ailleurs largement le champ des arts : elles sont mobilisées et rayonnent dans plusieurs disciplines, aussi bien dans les humanités que dans les sciences naturelles et de la santé.

Les institutions dévouées à la production et à la diffusion des savoirs ont besoin que les artistes bénéficient de conditions de travail favorables pour continuer à développer des démarches fortes, ambitieuses et résolument exploratoires. De même, l’université doit pouvoir développer des collaborations avec les milieux artistiques en leur offrant un environnement où les rythmes de travail sont propices à l’expérimentation, au questionnement et à l’esprit de découverte. C’est dans un tel contexte que la création continuera à enrichir le paysage universitaire tout en participant à renforcer sa mission et son rôle dans la société.

Car l’université ne saurait être un refuge, un lieu où l’on se met à l’abri tandis que la forêt brûle.

Sa vitalité dépend du maintien et de l’évolution des structures sociales qui l’entourent. À cet égard, des signes de déstructuration sont bien visibles. Ses conséquences sont ressenties, au premier chef, par les artistes et les travailleurs culturels d’aujourd’hui. Mais il y a fort à parier, alors que l’État fait la sourde oreille à leurs revendications légitimes, que les plus jeunes écoutent et interprètent ce silence comme un désengagement face à la culture et aux arts en même temps qu’une invitation à regarder dans d’autres directions.

Le pire est à craindre

La situation n’est rien de moins qu’alarmante quand on observe la baisse des inscriptions dans les programmes de formation au niveau postsecondaire. La chute a suivi, en cela, une tendance démographique, notamment dans les universités, qui ont vu leurs effectifs en arts et lettres diminuer au-delà des statistiques nationales dans les autres secteurs. Avec ce qui se passe actuellement, le pire est à craindre pour la survie de certains cursus et leur capacité à stimuler et à inspirer le milieu culturel de demain.

Pour tout dire, le portrait qui se dégage des témoignages et informations circulant dans les médias donne l’impression que l’édifice craque de toutes parts. Les causes sont multiples et dépassent la seule compétence de l’État en matière de financement. Néanmoins, sa responsabilité nous apparaît incontournable afin de réinjecter un peu d’air et de permettre aux artistes, dans l’immédiat, de minimalement pouvoir respirer. Le but est d’éviter une rupture tranquille, reléguée aux marges du débat public, mais qui aurait des répercussions désastreuses à plus long terme sur toute la société québécoise.

Dans cet élan de mobilisation qui milite plus largement en faveur d’une nouvelle politique culturelle adaptée à ces temps troublés, nous invitons également nos institutions respectives à reconnaître la contribution des artistes à notre mission de recherche et d’enseignement et à prendre une part active dans l’entreprise de revalorisation des arts qui s’impose de toute urgence.

*Ont cosigné ce texte : Catherine Cyr (UQAM) ; Robert Faguy (Université Laval) ; Hervé Guay (UQTR) ; Erin Hurley (Université McGill) ; Michel Lacroix (UQAM) ; Joanne Lalonde (UQAM) ; Marie-Christine Lesage (UQAM) ; Carole Lévesque (UQAM) ; Carole Nadeau (Université Laval) ; Anne-Marie Ninacs (UQAM) ; Jean-Paul Quiénnec (UQAC) ; Caroline Raymond (UQAM) ; Robert Reid (Concordia) ; Itay Sapir (UQAM) ; Marie-Eve Skelling-Desmeules (UQAC) ; Robert Schwartzwald (Université de Montréal) ; Danick Trottier (UQAM) ; Louise Vignault (Université de Montréal) ; Manon De Pauw (UQAM) ; Dominic Hardy (CRILCQ, UQAM).

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