Songe d’un matin de tempête
Submergés de neige ! Nous nous sommes réveillés ensevelis sous un manteau blanc qui étouffait le bruit ambiant et cachait jusqu’à certaines de nos laideurs urbaines. Cette épaisse couverture de neige, qui a transformé les rues en une multitude de monticules, a momentanément semblé apaiser nos cœurs en peine après que l’un de nos meilleurs amis a décidé qu’il ne voulait plus l’être.
Il est étonnant de constater combien un événement semblable à un autre peut provoquer des émotions différentes. C’est probablement une question de contexte. À voir les sourires sur le visage des gens qui déambulaient sur les trottoirs disparus sous des dizaines de centimètres de neige accumulés, j’avais presque le cœur à m’ennuyer de l’époque où j’avais à gérer des tempêtes comme maire d’arrondissement.
Pendant quelques instants, j’ai même songé à mettre mes raquettes pour aller faire les courses, mais l’orgueil est parfois mauvais conseiller : j’ai hésité, puis, réflexion faite, j’ai laissé tomber pour me contenter de mes bottes habituelles. Hé misère que j’ai regretté mon moment d’hésitation ! Je pense que cela m’aurait permis d’apprécier davantage ma balade dans le blizzard.
Livrés à tout vent, nos esprits sont déconcertés par ce mois de février qui nous fait virevolter quotidiennement d’une tempête à l’autre au gré des changements d’humeur de notre ancien ami. C’est que les vents en provenance du Sud se sont considérablement refroidis et nous cherchons une belle courtepointe bien chaude pour nous mettre à l’abri de cette tempête glaciale qui nous assaille.
Il est loin le temps où, lors d’une grande bordée, j’angoissais à lire les messages et les commentaires des gens pris d’une colère viscérale devant nos opérations de déneigement qu’ils jugeaient inadéquates. J’observe avec légèreté la gaieté sur les visages des passants livrés aux éléments. Peut-être est-ce ce sentiment commun qui nous permet de nous faire momentanément oublier nos malheurs lorsqu’un nouveau malheur nous percute de plein fouet.
Avouons-le, notre capacité à vivre en déséquilibre sur un fil s’est immensément accrue à force d’affronter l’imprévisible. Cette résilience nous est d’un secours précieux quand vient le temps de marcher sur les braises de l’instabilité. Soudainement, leur brûlure nous paraît moins inconfortable et nous voilà même capables de courir sur des tisons ardents.
Certaines mauvaises langues vous diront que ce chaos neigeux est une preuve tangible de l’alarmisme climatique ambiant. Ce sont les mêmes qui tentent de banaliser, au moyen de prétextes trompeurs, le geste sans équivoque de la main droite posé par le nouveau meilleur ami de notre ancien ami. N’en déplaise à la foule en émoi, il n’y aura pas de retour en arrière possible sur ce front. Nous sommes bien, en dépit de ces rafales hivernales, en plein au cœur d’une crise permanente d’imprévisibilité.
Ce sursaut de nostalgie d’une époque glorieuse où l’on pouvait encore rêver d’hivers bien de chez nous nous fait comprendre que même en pleine lutte des nations sur la glace, notre superbe a bien pâli. Il ne reste que le cerbère canadien qui réchauffe son banc. Notre seul fier représentant aura bientôt besoin lui aussi d’une courtepointe réconfortante à son retour à la maison.
Dans tout cela, le mot « résilience » s’impose à nous comme au temps où les couvre-feux étaient une réalité pesante et que nous découvrions les bienfaits de travailler dans nos habits du samedi matin. N’est-ce pas cela, justement, qui nous fait aimer de nouveau les bourrasques de ce mois de février d’antan ? Oui, c’était bien mieux avant, avant que l’imprévisibilité ne devienne notre réalité quotidienne.
La peur devant l’inconnu ou une menace soudaine peut devenir une formidable force de créativité. Encore qu’il ne faudrait pas que cette peur se transforme en un vent de panique qui nous rendrait plus vulnérables encore devant l’ours qui rugit. Marcher sur un fil demande de croire en nos capacités d’équilibriste sinon la chute serait brutale et nos corps ressentiraient toute la profondeur de l’abysse dans lequel notre climat court irrémédiablement à sa perte.
Dans ces moments troubles, il ne s’agit pas de se faire oiseau de malheur, mais plutôt d’accepter humblement que nous pouvons difficilement maîtriser les turbulences de notre monde. N’est-ce pas ainsi que le naïf sourit en regardant droit devant lui, n’ayant aucun souci des épreuves qui le guettent et le bousculent ? Je crois en la résilience du naïf, elle lui offre l’occasion d’imaginer que demain ira mieux.
Au lieu de s’accrocher à sa gloire passée, notre Sainte Flanelle peut encore se transformer en une nouvelle courtepointe réconfortante pour les esprits troublés. C’est le souhait de plusieurs parmi ceux qui cherchent un sens à notre nouvelle réalité qui n’a de prévisible que son imprévisibilité.
Heureusement, les écoles se sont tues pour quelques instants, nous offrant ce portrait magique d’enfants riant aux éclats sur les monticules de neige lundi, n’ayant pour seul souci que leurs petits orteils gelés. Au fond, ne serait-elle pas là, la résilience que nous cherchons depuis peu ? Dans le simple fait de sourire devant la beauté impromptue d’un grand dérangement ? Au lieu de paniquer devant une menace qu’on s’imagine trop vite insurmontable, il serait tellement plus beau de transformer cette peur en un levier extraordinaire pour aviver l’espoir de nos enfants. Car demain, ce seront, eux, les adultes qui devront s’adapter inexorablement aux turbulences grandissantes.
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.